20 ans après CPGS : où en est la frappe conventionnelle longue portée américaine ?
Observatoire de la dissuasion n°95
Emmanuelle Maitre,
mars 2022
Il y a 20 ans, la Nuclear Posture Review de l’administration Bush mettait l’accent sur la nécessité de développer de nouvelles armes de précision longue portée dans le cadre du concept de « Nouvelle Triade ». Tout en insistant également sur la nécessité de renforcer la défense antimissile, celle-ci cherchait à diversifier les moyens offensifs notamment grâce à des capacités de frappe conventionnelles précises et de longue portée
L’Air Force et ses représentants précisent à plusieurs reprises leur besoin sous l’administration Bush. Ainsi, il s’agit de pouvoir toucher des cibles de très haute valeur, dans un délai de quelques minutes, même dans une région où les États-Unis ne disposent pas de présence militaire
Plusieurs documents officiels et déclarations confirment l’intérêt de l’administration Obama pour la mission CPGS, en particulier le rapport réalisé par la Maison Blanche à l’occasion de la ratification du Traité New Start, qui estime que le CPGS « pourrait avoir un certain nombre d’avantages, parmi lesquels le renforcement de la dissuasion vis-à-vis d’États comme la Corée du Nord et l’Iran ». Le rapport propose également d’utiliser ces systèmes « pour accroître les options à la disposition du Président en temps de crise et de conflit, dont la capacité spécifique de menacer des cibles cruciales de haute valeur telles que des infrastructures d’ADM et de missiles balistiques par des attaques menées rapidement et avec une haute précision »
Sous l’ère Obama, les documents et déclarations publiés évoquent un certain nombre de justifications pour le développement d’armes conventionnelles de longue portée et de haute précision, parmi lesquelles la nécessité d’armes de haute précision pouvant frapper très rapidement des cibles mobiles, endurcies ou enfouies
Avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump, les motivations stratégiques derrière le PGS sont moins souvent évoquées, alors que les justifications politiques pour détenir des planeurs hypersoniques, qui sont généralement associés à cette mission, sont fréquentes. L’une de ces considérations est de conserver une avance technologique sur tout potentiel compétiteur. En tant que technologie émergente, l’hypersonique est perçu comme un champ que les États-Unis se doivent de maîtriser. En 2018, la National Defense Strategy met l’accent sur cette nécessité de ne pas se laisser dépasser en termes de technologies, en citant l’hypersonique comme champ de compétition particulièrement important
Alors chef du commandement Pacifique de l'US Navy, l’amiral Harry Harris indique en 2018 que « la Chine progresse plus rapidement dans le développement d’armes hypersoniques » et que les États-Unis « prennent du retard ». Ce constat justifie pour lui « d’accélérer les efforts pour développer des armes hypersoniques offensives »
Au-delà des considérations politiques, les armes hypersoniques sont de plus en plus souvent justifiées par certains responsables américains par leur capacité à apporter un avantage tactique dans le cadre d’un conflit, notamment contre un compétiteur majeur. De fait, certains programmes sont clairement décrits comme se « concentrant sur des opérations tactiques et de théâtre », comme le Theater Boost Glide (TBG) ou l’Army Advanced Hypersonic Weapon (AHW). L’atout principal noté, pour le combattant, et non plus dans une logique pure de dissuasion, est la capacité de frapper rapidement des cibles à haute valeur ajoutée et sous contrainte de temps, dans un environnement caractérisé par le déploiement de moyens anti-accès et d’interdiction de zone (A2/AD)
De manière spécifique, certains responsables du Département de la Défense ont salué la manœuvrabilité de ces armes, qui leur confèrerait un caractère particulièrement attractif
Ces qualités ont été associées à certains programmes particuliers, en comparaison aux arsenaux existants. Ainsi, le TBG a été salué comme offrant la capacité de « mener des opérations militaires depuis des théâtres plus éloignés » et avec une plus grande efficacité
Aux États-Unis, la mission de CPGS a donc largement évolué depuis 2002. Associée aux planeurs hypersoniques depuis 2012, elle a eu tendance à passer à l’arrière-plan au niveau conceptuel alors que les considérations techniques associées aux technologies utilisées ont capté l’agenda politique et médiatique. Néanmoins, les difficultés rencontrées pour démontrer la faisabilité de frappes hypersoniques de très longue portée ont conduit les services à s’intéresser à des systèmes moins ambitieux pouvant jouer un rôle plus tactique. De fait, les responsables du DoD justifient désormais pleinement l’acquisition de systèmes hypersoniques pour pénétrer les défenses A2/AD adverses et pour des frappes de théâtre. Au-delà de cette évolution dans les exigences militaires, la question hypersonique conserve aux États-Unis un aspect très politique, puisque son développement est également lié fréquemment à la nécessité de préserver une supériorité technologique et à celle de répondre aux efforts chinois et russes dans ce domaine.
Dans ce contexte, il sera particulièrement intéressant de voir si les documents d’orientation stratégique publiés par l’administration Biden font référence à cette mission bien spécifique, ou si les armes initialement associée à cette mission continuent d’être justifiés par de nouveaux besoins opérationnels, en particulier sur le théâtre.