Le DF 41, pièce maîtresse des capacités balistiques stratégiques présentées lors du défilé militaire chinois du 1er octobre 2019

Comme anticipé dans notre étude fondée sur l’exploi­tation d’images satellites et publiée une semaine avant le défilé militaire organisé à l’occasion du 70ème anniversaire de la République populaire de Chine, des capacités balistiques conventionnelles et nuclé­aires sans précédent ont été exhibées, certaines pour la première fois, démontrant la modernisation quantitative et qualitative de l’arsenal balistique chinois.Antoine Bondaz et Stéphane Delory, en partenariat avec Geo4i, « Le défilé militaire du 70e anniversaire de la République populaire : un révélateur de la puissance stratégique chinoise », FRS, Images Stratégiques, No.1, Septembre 2019. Le système d’arme hyper véloce DF‑17 a été montré, illustrant que la Chine est, par certains égards, à la pointe de l’innovation mondiale. L’objet de ce court article est de faire le point sur les capacités balistiques stratégiques présentées lors du défilé, et notamment la façon dont la presse et les experts chinois ont caractérisé l’ICBM DF‑41, présenté officiellement pour la première fois le 1er octobre 2019.

Ce défilé, sur la forme et sur le fond, marque une transformation non négligeable des forces stratégiques nucléaires et conventionnelles chinoises. Non seulement, la Chine démontre une capacité à faire évoluer l’arsenal nucléaire de façon rapide sur le plan qualitatif et quantitatif, mais elle illustre également sa capacité d’innovation dans le domaine des forces de frappe conventionnelles de précision.Ces dernières pourront à brève échéance opérer sur de très longues portées et avec des tempos opérationnels très élevés, renforçant spectaculairement la capacité de dissuasion conventionnelle chinoise et contri­buant à inhiber l’action des grands compétiteurs régionaux. D’autre part, l’image de puissance, de dissuasion mais également de coercition, qui est consubstantielle à toute parade militaire majeure, a été ici remarquablement mise en avant. La Chine a démontré ainsi qu’elle réussit le tour de force qu’est la possession d’un arsenal nucléaire restreint, mais de niveau qualitatif quasi égal à celui des deux superpuissances nucléaires, et d’une capacité de dissuasion et de coercition conventionnelle que nul ne peut négliger et que peu peuvent prétendre égaler. Ce message est essentiel dans un contexte de tensions sino-américaines et souligne la volonté chinoise de ne pas apparaître en position de faiblesse et de ne pas être intimidé par les États-Unis. Un dernier message apparaît en filigrane, celui du refus de la Chine de rentrer dans une logique multilatérale de maîtrise des armements, tant au niveau stratégique que non stratégique, en dépit des pressions croissantes des États-Unis et de leurs alliés en ce sens.

Rappelons que des défilés militaires ont généralement été organisés en Chine pour célébrer la fondation de la RPC, le 1er octobre 1949.Depuis 1949, 14 défilés militaires ont été organisés le 1er octobre, chaque année entre 1949 et 1959, puis en 1984 présidé par Deng Xiaoping, en 1999 présidé par Jiang Zemin, et en 2009 présidé par Hu Jintao. Le défilé de 2019 était donc le 14ème défilé militaire à l’occasion des célébrations de la fondation de la RPC. Malgré leur création le 1er juillet 1966, les forces balistiques chinoises défilent pour la première fois à Pékin le 1er octobre 1984, à l’occasion du 35ème anniversaire de la RPC. Avaient alors été exhibés des ICBM DF‑4, le premier missile à portée intercontinentale chinois ne pouvant cependant pas frapper l’ensemble du territoire américain du fait d’une portée estimée à 5 500 km. Cette démonstration de force vise à mettre en scène la loyauté de l’Armée populaire de libération (PLA) au Parti communiste chinois (PCC), à renforcer les sentiments nationalistes et patriotiques au sein de la population, à démontrer la puissance militaire et le poids international du pays, et, plus récemment, à exhiber de nouveaux systèmes d’armes afin d’illustrer les efforts de modernisation militaire du pays.

Contrairement à ses prédécesseurs, Xi Jinping a multi­plié les défilés militaires. En septembre 2015, Pékin organisait pour la première fois un défilé célébrant le 70e anniversaire de la défaite du Japon, quelques mois avant l’annonce d’une réforme militaire majeure ayant notamment conduit à la création de l’armée des Lanceurs, successeur de la Force de la Seconde Artillerie.Antoine Bondaz et Marc Julienne, « Moderniser et discipliner, la réforme de l’armée chinoise sous Xi Jinping », FRS, Note, No.05, février 2017 En août 2017, Xi Jinping présidait les célébrations du 90e anniversaire de la fondation de l’APL sur la plus grande base militaire chinoise à Zhurihe en Mongolie intérieure.Le dirigeant chinois a également présidé une parade navale en mer de Chine méridionale en avril 2018, la plus grande en 600 ans selon les médias chinois, ainsi qu’une seconde parade navale en avril 2019 pour le 70e anniversaire de la Marine chinoise. Une parade pour célébrer le 70e anniversaire de l’armée de l’Air, le 11 novembre, pourrait être organisée. Ces défilés ont été l’occasion de présenter officiellement de nouveaux équipements. C’est notamment le cas des capacités balistiques chinoises. En 2009, il s’agissait de l’IRBM DF‑21C et de l’ICBM DF‑31A, en 2015 des IRBM DF‑21D et DF‑26, et en 2017 de l’ICBM DF‑31AG. En 2019, ont ainsi été présentés le MRBM/IRBM DF‑17, l’ICBM DF‑41 ou encore le SLBM JL‑2.

Un des éléments les plus significatifs du défilé réside dans le nombre total de missiles de type ICBM qui a été présenté, soit 36 ICBM. Il n’est pas inutile de souligner qu’en son temps, l’URSS n’a jamais présenté un défilé réunissant un tel nombre de systèmes balistiques stratégiques. Il s’agit pour l’essentiel des modèles les plus récents, sur le point d’entrer en service (deux unités de DF‑41 soit 16 missiles) ou très récemment déployés (deux unités de DF‑31AG soit 16 missiles), auxquels s’ajoutent 4 DF‑5B. Il y a encore deux ans, en 2017, seuls 24 ICBM (16 DF‑31AG et 8 DF‑31A) avaient été montrés, représentant essentiellement la seconde génération de missiles stratégiques et illustrant alors un arsenal nucléaire encore en transition. Si l’on retient l’hypothèse la plus récente du Département de la défense américain, qui situe le nombre d’ICBM chinois à 90, plus d’un tiers de la force aurait ainsi été symboliquement exhibé.

Si l’on procède à un calcul rapide du nombre d’armes potentiellement emportées par ces missiles avec des estimations basses (3 pour le DF‑5B, 1 pour le DF‑31AG, et 6 pour le DF‑41) en y ajoutant la présence de 12 SLBM JL‑2 (3 armes par vecteur), alors les différents missiles qui ont défilé pourraient emporter jusqu’à 160 armes, soit plus de la moitié des 290 armes du pays selon la dernière estimation de la FAS ! Se pose donc évidemment la question de l’évaluation à la hausse de l’arsenal nucléaire chinois alors que l’estimation de la FAS pour 2019 ne prenait pas en compte la potentielle mise en service du DF‑41.Hans M. Kristensen et Matt Korda, Chinese nuclear forces, 2019

Avec le DF‑17, le DF‑41 a été le missile le plus commenté de ce défilé. Il s’agit du premier missile intercontinental mobile à propulsion solide chinois permettant l’emport d’une charge utile lourde et de couvrir l’ensemble du territoire américain. Il est estimé que ce missile pourrait être armé par un nombre relativement élevé d’ogives multiples, pouvant atteindre un maximum de 10 têtes, même si la plupart des estimations s’accordent sur un emport de 6 têtes. Ainsi, le DF‑41 donne à la Chine la possibilité d’augmenter significativement le nombre de têtes déployées sans accroître la taille de son arsenal balistique. De plus, la puissance de cet engin permet l’emport de leurres et d’aides à la pénétration en sus de la charge offensive, mais aussi l’adoption de trajectoires plus variées, qui contribuent à faciliter la pénétration des défenses antimissiles. Cet ICBM mobile devient de fait un système d’armes central de la dissuasion nucléaire chinoise afin d’assurer une capacité de frappe en second capable de percer la défense antimissile américaine.

Nous disposons de peu d’informations fiables concernant le DF‑41, également connu sous sa dénomination OTAN CSS‑X‑10. Selon l’encyclopédie chinoise Baidu, le DF‑41 serait le missile chinois avec le temps de lancement le plus court, et nécessiterait la plus petite équipe de support. Il s’agirait aussi de l’ICBM le plus précis avec une ECP de 100 «Missile balistique Dongfeng-41 », Baike Baidu, consulté le 25 octobre 2019.   Il aurait été développé par la CALT (China Academy of Launch Vehicle Technology), filiale du groupe d’aéro­spatiale chinois CASC. Selon le journal chinois Global Times dans sa version chinoise, le programme de recherche du DF‑41 aurait été initié dès 1984, sous le nom de code Projet No.204 (204工程), afin de remplacer in fine les ICBM de classe DF‑5.DF-41, Weapon Huanqui, consulté le 25 octobre 2019. Un premier essai aurait été réalisé dès 1994, mais la présentation officielle du nouveau missile, initialement prévue en 1999, a été repoussée plusieurs fois, pour finalement une présentation plus de 20 ans après la date initialement prévue. Le missile est mentionné de façon récurrente depuis 2012, date possible de son premier essai. Au total, il aurait pu être testé une dizaine de fois depuis juillet 2012, notamment en janvier et juin 2018. Notons également la mention dans la presse chinoise d’exercices de simulation de frappes en utilisant des DF‑41 en janvier 2019. La question se pose cependant de son déploiement et surtout des unités chinoises de l’armée des Lanceurs qui pourraient en être dotées, des rumeurs mentionnant le Heilongjiang depuis décembre 2016, mais rien ne le confirmant depuis.

Notons l’importance du missile en termes de communication pour le régime communiste. Un article publié récemment, et mettant en scène le Commandant de bataillon Liu Guoyue (刘国) qui menait les deux unités de DF‑41 lors du défilé militaire, en parle comme de la « pièce maîtresse de la construction du bouclier défensif de la RPC » (构筑起了共和国的和平盾牌). Larticle mentionne également le DF‑41 comme « le pilier de la puissance nucléaire stratégique de la Chine » et une force importante pour « les équilibres stratégiques, la dissuasion et le contrôle stratégiques, et la capacité à remporter une victoire stratégique » (战略制衡、战略慑控、战略决胜的).« Nouvelles armes nucléaires : dans l'équipe de missiles nucléaires Dongfeng-41核武新锐 震慑天疆 :走进东风-41核导弹方队), Xinhua, 5 octobre 2019. Enfin, mentionnons le rôle du très médiatique éditeur en chef du Global Times, Hu Xijin, sur Twitter et dans la presse chinoise quant à la communication autour du missile. Dès le 29 août 2019, il affirmait : « Le DF‑41 existe vraiment. J'ai eu l'occasion de voir et de toucher ce nouveau type d'ICBM il y a quelques années. Apparaîtra-t-il lors du défilé militaire du 1er octobre, à l'occasion du 70ème anniversaire de la fondation de la RPC ? Je ne sais pas, mais j'ai hâte d'y être ». Il ajoutait le jour du défilé : « C'est le légendaire ICBM DF‑41. Mais ce n'est plus un mythe. Aujourd'hui, il est exhibé sur la place Tiananmen et il y en a plusieurs. J'en ai touché un il y a environ quatre ans dans l'usine de production. Pas besoin d'en avoir peur. Respectez-le et respectez la Chine qui le possède ».

Clairement, le DF‑41 est devenu pour l’opinion publique chinoise un symbole de la puissance militaire du pays. Qualifié par les médias chinois de « pilier de la puissance nucléaire stratégique », sa mise en scène par les autorités chinoises devrait donc être de plus en plus visible.

 

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Le DF 41, pièce maîtresse des capacités balistiques stratégiques présentées lors du défilé militaire chinois du 1er octobre 2019

Antoine Bondaz

Bulletin n°69, octobre 2019



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