Discours de l’École de guerre : quelle intégration des partenaires européens à la dissuasion française ?

Dans son discours du 7 février 2020, Emmanuel Macron a déploré les fractures qui fragilisent l’architecture sécuritaire européenne depuis les années 2000 et réaffirmé l’importance de la France et de l’Europe dans la refondation de l’ordre mondial. Emmanuel Macron a insisté davantage que ses prédécesseurs sur la dimension « authentiquement européenne » de la dissuasion français et ajoutant : « les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne ». Dans ce cadre, le président Macron a d’abord proposé aux pays européens l’établissement d’un « dialogue stratégique » sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans la sécurité collective européenne. Ce dialogue stratégique doit permettre aux Européens de définir ensemble leurs intérêts de sécurité et favoriser une plus grande capacité d’action autonome des pays européens, indispensable pour garantir la sécurité européenne.

Dans le cadre de la construction d’un dialogue stratégique avec des alliés européens, Emmanuel Macron a abordé, pour la première fois, la possibilité d’intégrer les partenaires européens qui le souhaitent aux exercices des forces de dissuasion françaises : « Les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices des forces de dissuasion françaises. Ce dialogue stratégique et ces échanges participeront naturellement au développement d’une véritable culture stratégique entre Européens ». Ces exercices concernent notamment les Forces Aériennes Stratégiques (FAS), qui sont au cœur de la capacité stratégique de dissuasion nucléaire confiée à l’armée de l’Air française. Les objectifs de l’intégration des alliés européens aux exercices des forces de dissuasion françaises pourraient ainsi être de familiariser ces pays avec la dissuasion française, favoriser ainsi l’émergence d’une culture stratégique commune, et repositionner la dissuasion nucléaire française au cœur de la sécurité européenne.

Les exercices des FAS comprennent notamment les opérations « Poker » (quatre fois par an), au cours desquelles la totalité de la procédure de frappe est répétée au-travers d’une mission de longue durée au-dessus du territoire national. Avec les « tirs d’évaluation » des vecteurs ASMPA, réalisés régulièrement mais à plus longue échéance comme l’exercice « Excalibur » conduit en février 2019, ils visent à démontrer la crédibilité opérationnelle de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire française. Les opérations Poker constituent des manœuvres majeures impliquant de nombreux moyens de l’armée de l’Air : des dizaines d’avions dont des Rafale B portant une maquette de missile ASMP‑A (missile air-sol moyenne portée amélioré), des Rafale C et des Mirage 2000 de défense aérienne et des avions ravitailleurs Boeing C135 et A330 MRTT, des unités de défense sol/air, des unités de contrôle aérien. Après l’annonce du président Macron, on suppose donc que les partenaires européens qui le souhaitent pourraient impliquer leurs unités conventionnelles dans le cadre de la posture défensive jouée durant de tels exercices des FAS.

Il est à noter qu’au sein de l’OTAN, les pays membres du Nuclear Planning Group, dont la France ne fait pas partie, mènent régulièrement des exercices aériens dans le cadre de la mission nucléaire de l’Alliance. Ces exercices baptisés « Steadfast Noon » sont pilotés par les États-Unis et conduits en partenariat avec une douzaine de pays membres de l’OTAN, non dotés au sens du TNP. Les nations impliquées dans le mécanisme de dissuasion partagée (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie) participent bien entendu en fournissant des chasseurs-bombardiers. D’autres États participent à ces exercices, dans le cadre de la mission « SNOWCAT » (Support of Nuclear Operations with Conventional Air Tactics), y compris des pays qui n’ont pas la capacité d’emporter des armes nucléaires (Danemark, Grèce, Hongrie, Norvège, Pologne, Roumanie et Tchéquie). La Pologne et la Tchéquie ont d’ailleurs pris part ces dernières années à plusieurs reprises aux exercices « Steadfast Noon » en fournissant des avions non-nucléaires (respectivement F‑16 et JAS 39 Gripen). Toutefois, les exercices « Steadfast Noon » correspondent à l’entraînement à une mission nucléaire de l’OTAN qui est fondamentalement conjointe. La mission nucléaire aéroportée française relève d’un principe d’autonomie nationale dans sa réalisation. Il serait donc ainsi peu probable que la participation de partenaires européens qui le souhaitent à des exercices Poker offre le même degré d’implication que celui proposé par les exercices « Steadfast Noon ».

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Discours de l’École de guerre : quelle intégration des partenaires européens à la dissuasion française ?

Emmanuelle Maitre

Camille Barbit

Bulletin n°73, février 2020



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