Elections américaines et questions nucléaires : quels sont les enjeux

Comme lors de chaque élection aux Etats-Unis, les questions nucléaires et stratégiques de manière large auront eu un rôle tout à fait mineur dans la campagne présidentielle 2020. Pour autant, le mandat qui s’achève a été caractérisé par un débat inhabituellement visible sur ces questions, avec notamment des craintes liées à l’escalade d’un conflit lors des tensions verbales fortes avec la Corée du Nord à l’été 2017, des discussions au Congrès sur la légitimité du Président à prendre seul la décision d’engager les forces nucléaires ; ou encore des déclarations énigmatiques et répétées de Donald Trump sur sa possession d’armes particulièrement puissantes.

A la veille des élections du 3 novembre 2020, les enjeux liés à la dissuasion et au nucléaire militaire de manière large sont donc bien présents. Si les deux candidats se sont peu exprimés sur ces sujets, l’on peut néanmoins s’attendre à certains changements en cas d’élection de Joe Biden, bien que plusieurs incertitudes perdurent à ce sujet. Quatre sujets sont particulièrement attendus en cas de retour à la Maison Blanche d’une administration démocrate.

  • Maîtrise des armements et non-prolifération

Bien que les questions nucléaires n’apparaissent que très marginalement dans la plateforme électorale de Joe Biden, un des principes de sa politique étrangère annoncée est énoncée en ces termes : « In a Biden administration, America will lead by example and rally the world to meet our common challenges that no one nation can face on its own, from climate change to nuclear proliferation ».

A ce titre, l’ancien vice-président s’est engagé à étendre le Traité New Start, décrit comme « un pilier de la stabilité stratégique entre les Etats-Unis et la Russie ». Il a fortement critiqué toute reprise des essais nucléaires par les Etats-Unis, notamment pour des raisons d’exemplarité et de non-prolifération, sans rouvrir toutefois à ce stade le dossier épineux de la ratification du TICEMegan Messerly, « Resuming U.S. nuclear testing, as Trump administration officials have reportedly discussed, would be ‘as reckless as it is dangerous,’ Biden says », The Nevada Independent, 28 mai 2020..

  • Doctrine

En 2017, et en tant que vice-président, Joe Biden avait pris position en faveur de l’adoption d’un engagement de non-emploi en premier. Son programme indique concernant le désarmement une volonté ferme de restreindre le rôle des forces nucléaires dans la doctrine américaine, puisqu’il affirme la conviction du candidat que « la seule vocation de l’arsenal nucléaire américain devrait être de dissuader – et, si nécessaire, répliquer contre – une attaque nucléaire. » Le programme propose donc de mettre en place cette conviction, « en consultation avec les alliés et forces armées »The Power of America’s Example: The Biden Plan for Leading the Democratic World to Meet the Challenges of the 21st Century, joebiden.com, récupéré le 25 septembre 2020.. Ces déclarations sont conformes avec une des dernières allocutions de Joe Biden en tant que vice-président en 2017 à Carnegie, dans laquelle il avait noté qu’ « au vu des capacités non-nucléaires [américaines] et la nature des menaces actuelles, il est difficile d’envisager un scénario plausible dans lequel l’emploi en premier d’armes nucléaires par les Etats-Unis serait nécessaire ou même censé »Jamie McIntyre, « Biden advocated 'no first use' policy as VP. Would he change nuclear doctrine as president?  », The Washington Examiner, 13 août 2020.. Son engagement en faveur du non-emploi en premier a donc été affirmé clairement tôt dans la campagne« Presidential Candidates: Joe Biden », Council for a Livable World, 2019..

Par ailleurs, Joe Biden s’est également exprimé contre l’acquisition d’armes de faible puissance, arguant du fait qu’il s’agissait « d’une mauvaise idée » puisqu’elles risqueraient de rendre les Etats-Unis plus « enclins à les utiliser »« Biden says he would push for less U.S. reliance on nuclear weapons for defense », PBS, Robert Burns, 21 septembre 2020..

En revanche, le candidat démocrate a soutenu le programme de défense antimissile, en conformité avec les orientations prises par l’administration Obama, notant qu’au vu des conséquences catastrophiques d’une seule détonation nucléaire sur le territoire américain, même un système de défense imparfait pouvait jouer un rôle et avoir un effet dissuasif« Presidential Candidates: Joe Biden », Council for a Livable World, 2019..

  • Négociations sur le programme nucléaire iranien

Ayant largement soutenu le processus ayant abouti au JCPOA et l’accord en lui-même en tant vice-président sous l’administration Obama, Joe Biden a logiquement annoncé que si élu, il réintègrerait l’accord, mettant en particulier en avant l’importance de travailler conjointement avec les principaux alliés américains sur ce dossier. Dans un article spécialement consacré à ce sujet, il a explicité sa position, notant que ce retour aux termes du JCPOA ne pourrait qu’être considéré que si l’Iran renonçait à ses violations de l’accord. Il a également annoncé vouloir poursuivre l’approche diplomatique pour étendre le cadre de l’accord, en signalant en particulier la question des droits de l’homme et de la détention de citoyens américains par le régime de Téhéran ; ainsi que les considérations régionales (guerre au Yémen en particulier) et le programme balistique. L’ancien vice-président s’est en revanche engagé à ce que les sanctions ne fragilisent pas la réponse iranienne à la COVID-19Joe Biden, « Joe Biden: There's a smarter way to be tough on Iran », CNN, 13 septembre 2020..

  • Question nord-coréenne

Alors que les démarches diplomatiques engagées par l’administration Trump en Corée du Nord semblent au point mort, la possible élection de Joe Biden ne signifierait pas forcément de grands changements sur ce dossier, le candidat démocrate ayant notamment indiqué un changement de style, avec un renoncement à la personnalisation du dossier, aux sommets avec Kim Jung-un sans contrepartie tangible et avec une plus grande consultation des différents acteurs impliqués dans la régionJosh Smith, Hyonhee Shin, Trevor Hunnicutt, « Biden on North Korea: Fewer summits, tighter sanctions, same standoff », Reuters, 21 août 2020.. Récemment, il a affirmé qu’il ne pourrait envisager rencontrer Kim Jung-un qu’en cas de réduction de l’arsenal nucléaire nord-coréenJon Herskovitz et Jordan Fabian, « Biden Says He’d Meet Kim Jong Un Only If Nuclear Arsenal Reduced », Bloomberg, 23 octobre 2020..

Sans en faire un thème de campagne majeur, Joe Biden a mis en avant son expérience dans le domaine de la maîtrise des armements, en particulier son rôle dans les discussions autour du Traité SALT II en tant que sénateur ainsi que son implication en faveur de la ratification du New StartJoe's Story, joebiden.com, récupéré le 25 septembre 2020.. Lors de l’anniversaire des bombardements de Hiroshima, il s’est exprimé pour la réaffirmation de l’objectif de faire émerger « un monde libéré de la menace des armes nucléaires ». Il a noté que cela passait en particulier par l’extension de New Start, la restauration du leadership américain en matière de maîtrise des armements et de non-prolifération et le renforcement des alliancesJoe Biden, « My Statement on the 75th Anniversary of Hiroshima », Statement, 6 août 2020..

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Elections américaines et questions nucléaires : quels sont les enjeux

Emmanuelle Maitre

Bulletin n°80, octobre 2020



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