Quel objet stratégique Aukus est-il en train de devenir ? (1/2)
Observatoire de la dissuasion n°115
Benjamin Hautecouverture,
janvier 2024
Dix-huit mois après l’annonce de son lancement en septembre 2021, le partenariat trilatéral Aukus est entré au mois de mars 2023 dans une nouvelle phase ouverte par la déclaration commune des dirigeants américain, britannique et australien faite à la base navale de Point Loma à San Diego, en Californie. Il s’agit d’une phase où se mêlent des enjeux de communication politique globale et régionale, des enjeux de non-prolifération, des enjeux industriels et stratégiques.
Dans une tribune publiée dans The Guardian au mois de janvier 2023
Pour y faire face, la Chine orchestre à son tour une vaste campagne visant à faire du volet nucléaire d’Aukus un fait de prolifération. Dans la foulée de la déclaration de San Diego, la mission chinoise auprès des Nations unies a ainsi accusé les États-Unis et le Royaume-Uni de « violer clairement l’objet et le but du TNP », ajoutant qu’ « un tel cas d’école de double standard nuira à l’autorité et à l’efficacité du système international de non-prolifération. (…) Le plan de coopération en matière de sous-marins nucléaires publié aujourd’hui par Aukus est un acte flagrant qui présente de graves risques de prolifération nucléaire, sape le système international de non-prolifération, alimente les courses aux armements et nuit à la paix et à la stabilité dans la région »
En termes de non-prolifération, la question qui se pose est celle de savoir si la perspective d’une coopération nucléaire pour la propulsion des futurs sous-marins ouvre une brèche dans le régime de non-prolifération ou au contraire permet de le renforcer. Une première réponse est juridique. Au titre de son accord de garanties généralisées (AGG) avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), et du protocole additionnel (PA) à cet accord de garanties, les fins pacifiques consacrées par l’article 4 du TNP sont précisées pour l’Australie de telle sorte que les « fins militaires non interdites » sont autorisées
Au titre du traité de Rarotonga auquel l’Australie est partie, l'utilisation de la propulsion nucléaire n’est pas interdite tant que le système de propulsion n’est pas considéré comme une arme nucléaire ou comme un autre dispositif explosif capable de libérer de l’énergie nucléaire. Pourtant, l’argument de l’effet produit par le cas de coopération trilatérale sur la norme de non-prolifération continue de tenir une place importante dans le débat. Selon le chercheur américain James Acton par exemple, la question n’est pas de savoir si l’Australie cherchera à se doter de l’arme nucléaire en utilisant la porte d’entrée que pourrait lui fournir la propulsion, mais si le précédent créé par l’autorisation faite à l’Australie par deux Etats dotés au sens du TNP constitue un facteur de fragilisation du régime : « le principal problème d'Aukus a toujours été le précédent créé, à savoir que l’Australie serait le premier pays à soustraire du combustible nucléaire aux garanties pour l’utiliser dans des réacteurs navals. (…) Ma crainte n’a jamais été que l’Australie fasse un mauvais usage de ce combustible, mais que d’autres pays invoquent Aukus comme un précédent pour retirer le combustible nucléaire des garanties. »
Dans le régime de non-prolifération nucléaire mondial, c’est au premier chef à l’AIEA de se prononcer sur ce qui est, ou n’est pas, techniquement vérifiable. Il s’agit donc essentiellement d’une question de garantie. En l’espèce, onze réunions techniques ont été tenues entre l’Agence de Vienne et les trois parties à l’Aukus entre septembre 2021 et mars 2023 pour évaluer les implications possibles du programme de propulsion nucléaire navale sur l’application des garanties. A l’issue de ce premier cycle, le directeur général de l’AIEA Rafael Mariano Grossi a estimé que les partenaires d’Aukus sont « déterminés à garantir le respect des normes les plus strictes en matière de non-prolifération et de garanties ». Le directeur général de l’AIEA se dit ainsi « satisfait de l’engagement et de la transparence dont les trois pays ont fait preuve jusqu’à présent »
La suite des négociations entre l’AIEA et Canberra permettra d’évaluer avec précision dans quelle mesure il peut être affirmé que le cas australien renforce le dispositif de non-prolifération mondial. Le cas échéant, il s’agirait d’un cas original de renforcement de la norme de non-prolifération par le renforcement d’un dispositif stratégique à vocation dissuasive.
Depuis la déclaration de San Diego, la mise en œuvre du projet de sous-marins à propulsion nucléaire pour l’Australie au cours des trois prochaines décennies doit se dérouler en trois étapes : la formation et le renforcement des capacités australiennes ; l’acquisition de sous-marins nucléaires dotés de moyens militaires conventionnels ; l’acquisition de groupes motopropulseurs soudés complets contenant les matériaux nucléaires nécessaires à la propulsion