La transparence vue de la Conférence du désarmement

La présidence française de la Conférence du désarmement a organisé un débat sur la transparence le 6 juin 2023 à Genève. Quelques traits saillants de ce débat sont résumés ci-dessous.

L’Australie a salué les efforts français et britannique, et notamment la démarche itérative qui a consisté à discuter des rapports nationaux avec des États non dotés (Pays-Bas, Philippines). La Chine a rejeté d’emblée les déclarations de l’Union européenne (via la Suède) à son endroit, alléguant que « certaines délégations font preuve de moins en moins d’objectivité et de professionnalisme ». Elle a demandé aux panelistes de définir qui devrait, selon eux, décider du niveau souhaitable de transparence. (L’auteur de ces lignes lui a répondu que chaque État décidait, naturellement, du degré de confiance qu’il souhaite que la communauté internationale ait en lui.) Dans son intervention formelle, elle a estimé que la transparence n’est pas une fin en soi, et qu’il n’y a pas de norme universelle possible dans ce domaine.

Le Royaume-Uni a contesté les arguments chinois. Il a interrogé les panelistes sur la contribution de la transparence à la vérification et à l’irréversibilité du désarmement. La Russie a insisté sur les limites de la transparence et les vertus de « l’ambigüité constructive », qu’elle a voulu contraster avec « l’ambigüité alarmante » de la doctrine américaine. Elle s’est interrogée sur le manque allégué de transparence des accords AUKUS. Le Pakistan a interrogé les panelistes sur l’évaluation de la transparence. L’auteur de ces lignes a répondu qu’une démarche d’évaluation séparée à l’aveugle, par certains États (ex. NPDI) et certaines ONG ou think-tanks, pourrait être une bonne méthode. Dans son intervention formelle, il a avancé que l’ambigüité était plus importante pour les pays disposant des plus petits arsenaux. Par ailleurs, il a suggéré que la transparence sur les postures (niveaux de disponibilité des forces en particulier) pouvait être plus importante que celle qui concerne les doctrines. Enfin, il a insisté sur le fait que la transparence nucléaire, selon lui, ne pouvait être détachée de la transparence sur les forces classiques, et ainsi sur la nécessité d’avoir une approche « globale » de la transparence. L’Ukraine a mis en exergue les risques inhérents au déploiement potentiel d’armes nucléaires russes en Biélorussie et sur ceux relatifs au sort du complexe nucléaire de Zaporijia.

Pour sa part, invité à participer comme paneliste, l’auteur de ces lignes avait fait valoir plusieurs points. Tout d’abord, la transparence nucléaire contribue à la réduction des risques, en accroissant la confiance mutuelle et en minimisant les risques d’incompréhension. Elle est encore plus importante en l’absence d’accords de maîtrise des armements. Elle permet par ailleurs, pour les États dotés, de montrer que l’on respecte l’Article VI du TNP. Les États dotés ont une responsabilité particulière (« aucun État doté ne doit être moins transparent qu’un État non doté »), mais la transparence doit concerner tous les États disposant d’armes nucléaires. Par ailleurs, pour les démocraties, un minimum de transparence est un devoir. Y compris, peut-être, pour les États hôtes (OTAN). Hors maîtrise des armements, la transparence se manifeste notamment par des déclarations, des textes, des images et des visites.

Elle concerne potentiellement huit domaines : statut de l’État, sa doctrine, ses capacités, ses principes de planification, ses exercices, ses installations (démantelées), ses stocks de matières, son budget nucléaire militaire. Elle permet de vérifier la cohérence entre « ce que l’on entend » (les déclarations officielles) et « ce que l’on voit » (le renseignement). La transparence sur les capacités (nombre, types, unités) peut contribuer à éviter la surestimation des capacités adverses et donc de limiter les risques de course aux armements, ainsi qu’à éviter les risques de confusions entre moyens nucléaires et moyens classiques. Il est en particulier utile de savoir :

  • Quelle ambition est-elle recherchée ?
  • Quelle définition de la « suffisance » ou de la dissuasion « minimale » ?
  • L’État revendique-t-il (encore) d’avoir « le plus petit arsenal » ?

La transparence sur les doctrines contribue à éviter les incompréhensions et donc à assurer la dissuasion. Les limites aux conditions d’emploi peuvent aussi contribuer à la non-prolifération. Il est en particulier utile de savoir :

  • Qui contrôle les armes ?
  • S’agit-il seulement de dissuasion ?
  • Quel serait le seuil nucléaire ?
  • Quelle serait la nature de la riposte ?
  • Des options limitées sont-elles envisagées ? Si oui, dans quel but seraient-elles exercées ?
  • Certains moyens ont-ils un statut particulier, différent des autres ?
  • Le lancement sur alerte est-il envisagé ?

La transparence sur les exercices peut elle aussi contribuer à limiter les incompréhensions doctrinales ? La Russie à cet égard ne fait pas preuve d’autant de transparence que ce qui serait souhaitable. À l’inverse, il faut saluer la transparence nouvelle de l’OTAN dans ce domaine (Steadfast Noon). La transparence a cependant des limites. Il faut préserver la liberté d’action des décideurs, et empêcher que l’agresseur puisse calculer les risques inhérents à son agression. Il faut minimiser les risques de frappe préemptive (localisation et caractéristiques exactes des forces). Ainsi bien sûr, en amont, que les risques de prolifération (statut dans certains cas ; formules d’armes ; etc.). Il faut donc placer le curseur au bon endroit et un excès de transparence peut parfois être nocifOn peut appeler cela le « principe Florence Nightingale » : « Whatever hospitals do, they should not spread disease »..

 

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