Les entreprises de services de sécurité et de défense : nouvelles dynamiques et implications pour nos armées

Résumé

Le secteur des entreprises de services de sécurité et de défense (ESSD) a connu une croissance importante ces dernières décennies. Les contraintes budgétaires et l’évolution de l’environnement conflictuel ont conforté leur rôle tout d’abord dans une logique de substitution aux côtés des États et d’autres acteurs institutionnels. Ce sont en premier lieu les entreprises anglo-saxonnes qui ont incarné ce rôle et continuent de dominer le secteur de la sécurité privée. Les retours d’expérience des interventions en Afghanistan et en Irak ont permis aux armées américaines et britanniques d’améliorer le contrôle et l’intégration de ces entreprises. Le désengagement progressif de leurs clients institutionnels du Moyen-Orient et la multiplication des prestataires de sécurité ont conduit ces derniers à rechercher de nouveaux marchés. Ils se sont alors donc substitués partiellement aux forces étatiques dans le cadre d’opérations de sécurité maritime et humanitaires. Aujourd’hui, la multiplication des catastrophes naturelles et les menaces dans le domaine de la cybersécurité leur offrent de nouvelles perspectives d’évolution.

Le marché de la sécurité est confronté aujourd’hui à l’apparition de nouvelles rationalités d’emploi des ESSD dîtes de « contournement » qui confinent à la cooptation par des États-Puissances de la logique marchande prévalant jusqu’alors. Les stratégies russes et chinoises envers leurs ESSD nationales en incarnent deux variations. L’expansion des ESSD chinoises est motivée par le besoin de sécurisation des ressortissants et des intérêts économiques liés entre autres au projet One Belt, One Road, puis Belt and Road Initiatives. À ce jour, une utilisation des ESSD pour atteindre des objectifs politique, économique et militaire ne peut être exclue en raison du flou juridique qui encadre les activités de sécurité et des investissements des entreprises étatiques chinoises à l’étranger. La présence accrue d’ESSD russes dans des zones de conflit participe d’opérations d’influence et de coercition menées sous-couvert de déni plausible. L’opacité du recours aux ESSD par certains États souligne, néanmoins, le renforcement des incertitudes juridiques et opérationnelles qui complexifient nos engagements.

Les ESSD apparaissent ainsi comme une problématique interarmées en mal d’une stratégie spécifique pour pouvoir les intégrer à notre planification ou, du moins, les appréhender au sein de nos théâtres d’opération. Leur mauvaise prise en compte comme opportunités ou menaces pour nos intérêts stratégiques et pour nos forces révèle l’insuffisance de nos instruments d’évaluation et de supervision de leurs activités. Que cela soit dans le cadre de nos propres externalisations qui sont émaillées de dysfonctionnements, ou dans la définition de nos interactions entre coopération et hostilité envers des ESSD‑tierces, nos armées ne disposent pas des cadres doctrinaux ni des capacités juridiques et de renseignement nécessaires. Un effort de développement de nos instruments de contrôle étatique et militaire sur ces sociétés ainsi qu’une attention portée au renforcement de nos moyens de renseignement voire de notre expertise économique apparaissent par conséquent nécessaires.

Introduction

L’emploi et la nature des ESSD ont beaucoup évolué avec le temps. Lors de la Guerre froide, le recours à ces acteurs s’expliquait par le caractère clandestin et l’opacité du « Grand Jeu » d’influence des deux blocs. L’effondrement du monde bipolaire s’est accompagné de l’ouverture de nouveaux marchés institutionnels et privés. Deux facteurs ont ainsi contribué à l’essor d’une « deuxième génération » d’ESSD qui demeure encore aujourd’hui les acteurs principaux de ce secteur d’activité. Le premier résulte de l’impact des nouvelles politiques publiques et de la recherche des « dividendes de la paix » sur les appareils militaires réguliers. Le second tient aux besoins de protection grandissants des personnels étrangers déployés au sein d’États fragilisés sinon en faillite. Le phénomène, alors qu’il fut jusqu’ici majoritairement anglo-saxon et produit par les conditions des opérations de contre-insurrection en Afghanistan et en Irak, semble aujourd’hui connaître d’importantes mutations au regard des missions qu’il affecte et des rationalités d’emploi qu’il suscite.

Organisée en trois parties, cette étude adopte une approche historique et comparative, perspective qui permet à la fois d’identifier les différentes rationalités à l’œuvre dans l’emploi des ESSD et de caractériser leur évolution. En préambule, une typologie des acteurs et des marchés de la sécurité fournit la grille d’analyse et les fondements méthodologiques de ce travail.

La première partie de la note traite ensuite de l’avènement des logiques de substitution à des appareils sécuritaires défaillants. Les ESSD agissent comme substitut à l’État en apportant un soutien principalement logistique et technologique au cours des opérations au Moyen-Orient. Par la suite, elles investissent le marché de la sécurité maritime face à l’intensification des actes de piraterie et le « marché humanitaire » pour épauler les OIG opérant dans des environnements sécuritaires dégradés. L’apparition de nouveaux marchés de la sécurité toujours dans une logique de substitution est traitée en guise de conclusion.

La seconde partie analyse le retour des logiques de contournement impulsées par les stratégies d’influence de certains États-Puissances. Le cas des nouveaux entrants chinois et russe est abordé à travers le prisme juridique et les leviers de coopération économique et militaro-sécuritaire en Afrique. L’objectif est ici d’identifier les stratégies à l’œuvre et les implications de la présence des ESSD étrangères pour les forces armées françaises.

La dernière partie propose d’en tirer les enseignements possibles pour nos propres forces, en termes de défi et d’opportunités. Les ESSD apparaissent à l’aune de nos besoins opérationnels et spécificités juridiques comme une problématique interarmées. Elles semblent insuffisamment prises en compte dans les phases de planification, tout particulièrement s’agissant de la protection des forces et de la conservation de l’effet majeur recherché sur nos théâtres d’opérations. En ligne avec cette analyse, cette étude défend la nécessité de renforcer nos instruments internes d’évaluation et de supervision de leurs activités dans l’objectif d’une meilleure définition de nos règles d’engagement envers elles, qu’elles proviennent de pays partenaires ou soient associées à nos forces.

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