Le Future Vertical Lift de l’US Army : l’aérocombat américain de prochaine génération

Le Future Vertical Lift (FVL) désigne l’ensemble des capacités futures d’aérocombat des forces américaines. Pour l’US Army Aviation (AA), qui en est la principale maîtresse d’oeuvre, l’enjeu est de taille puisqu’il s’agit de remplacer partielle-ment l’ensemble de ses flottes actuelles de drones – elles relèvent de ses compétences au sein de l’Army – et d’hélicoptères dont la conception remonte à la guerre froide : hélicoptères de manoeuvre UH-60 Blackhawk, de reconnaissance et d’attaque AH-64E Apache puis, ultérieurement, hélicoptères de transport lourd (HTL) CH-47 Chinook. Le FVL constitue donc une vraie rupture et se place parmi les priorités capacitaires de l’Army pour pouvoir commencer à contribuer, dans une décennie, aux opérations multidomaines en mesure de faire pièce aux systèmes de déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD) des compétiteurs russes et chinois. 

Le FVL ne se présente pas comme une simple juxtaposition de nouvelles plateformes, en l’occurrence le Future Attack Reconnaissance Aircraft (FARA), le Future Long Range Assault Aircraft (FLRAA) et les Future Unmanned Aircraft Systems (FUAS), mais bien comme un « système de systèmes » cohérent, incluant aussi des armements, des capteurs et des avioniques conçues selon une architecture ouverte modulaire (MOSA) commune. Les études de coût semblent montrer que cette vaste entreprise pourrait rester financièrement abordable au regard du niveau de dépenses déjà consenties par l’Army pour son aviation. Le FVL constitue enfin un enjeu industriel majeur pour la BITD américaine dont il va transformer les procédés et la physionomie. Cependant, les choix programmatiques restant à faire, les marges financières disponibles, la criticité et la pertinence de l’entreprise, tant stratégiques qu’opérationnelles, nourrissent bien des incertitudes sur la forme que prendra en réalité le FVL. 

Les « Capability Set » interarmées du Future Vertical Lift 

Les capacités du FVL ne concernent en soi pas uniquement l’US Army même si elle assurera l’essentiel de leurs mises en oeuvre. Elles ont été génériquement déclinées en 2013, par l’état-major interarmées américain (Joint Staff), en plusieurs ensembles capacitaires (capability set, CS) graduant les grands types de plateformes envisagés : 

  • CS1 : plateforme légère de reconnaissance, d’attaque armée, d’action directe des forces spéciales (etc.). Ce serait donc l’équivalent de notre hélicoptère interarmées léger ; 
  • CS2 : plateforme médium d’attaque, en mesure égale-ment de réaliser des missions d’évacuation de ressortissants (RESEVAC), de lutte anti-sous-marine (ASM), de recherche et sauvetage au combat (RESCO), etc. ; 
  • CS3 : plateforme médium de lutte antimine, d’assaut aéromobile et amphibie, de MEDEVAC, de soutien logis-tique, etc. ; 
  • CS4 : plateforme médium plus importante privilégiant le MEDEVAC, l’assaut aéromobile et le soutien ; 
  • CS5 : plateforme lourde pour les mêmes missionsFuture Vertical Lift Initiative Tri-fold, Vertical Lift Consor-tium, Oct. 2015.

Le FVL de l’Army dans les opérations multidomaines 

Le développement du FVL au sein de l’Army Aviation s’inscrit depuis deux ans dans la réalisation du concept de Multi-Domain Operations (MDO). Rappelons que MDO est la réponse de l’Army aux capacités russes et chinoises de déni d’accès et d’interdiction de zone (A2/AD) qui contestent la supériorité américaine dans l’ensemble des domaines de lutte (terre, air, mer, cyber, espace). Le concept MDO mise sur la synergie des opérations de l’ensemble des composantes et des systèmes d’arme, sur leur aptitude à créer des fenêtres de supériorité par la convergence des effets dans un ou plusieurs de ces domaines puis à exploiter ces fenêtres pour désarticuler le dispositif A2/AD adverse. Cette transcription élargie de la logique de la manoeuvre interarmes est donc un concept de portée clairement interarmées, que l’Army a d’ailleurs élaboré avec l’appui des Marines et de l’Air Force

Devant être déployés rapidement, avec une faible empreinte, les systèmes FVL doivent jouer un rôle de premier plan dans cette conception. En période permanente de com-pétition, ils contribuent à la dissuasion. En cas de conflit, les systèmes FVL, combinant appareils habités, drones et munitions maraudeuses, pénètrent dans le dispositif de défense adverse utilisant leur capacité d’attaque en conjonction avec les feux dans la grande profondeur qu’ils éclairent mais aussi en réalisant des assauts aéromobiles, lancés de-puis des distances opératives. Ils s’attaquent ainsi aux deux capacités clés adverses : son système intégré de défense anti-aérienne (IADS) et son propre système de feux dans la pro-fondeur. Une fois l’IADS adverse « fracturé », les capacités FVL contribuent à disloquer le dispositif adverse en participant à des manoeuvres aéroterrestres de plus grande am-pleur et en fournissant de l’évaluation des dommages (BDA) réalisés par les frappesTRADOC Pamphlet 525-3-1, The US Army in Multi-Domain Operations, 6 December 2018. 

L’aviation de l’Army dans le concept d’opérations multidomaines 

2-1Source : COL Mike Best, Aviation and MDO Perspective, PEO Aviation Industry Day, 12 February 2020 

La stratégie capacitaire incrémentale vers le FVL 

Pour réaliser ces MDO à partir de la fin de la prochaine décennie, l’Army a rehiérarchisé les axes de sa stratégie capacitaire, accordant la priorité à six grands domaines (les « Big Six »). Le FVL est la troisième de ces priorités, derrière la P1 que constituent les Precision Long-Range Fires déjà évoqués et le Next-Generation Combat Vehicle (NGCV). Bien entendu, la démarche vers les capacités MDO est incrémentale, ce d’autant que l’horizon de leur concrétisation a été sensible-ment repoussé. Il comprend maintenant deux étapes : « MDO Capable » pour 2028, correspondant à l’objectif initial, et « MDO Ready » pour 2035. 

Comme tout développement capacitaire de grande ampleur, le FVL n’est pas uniquement une problématique matérielle mais nécessite aussi une évolution des doctrines au sens 

large (concepts d’emploi, procédures, etc.), de l’organisation des unités, de l’entraînement, de la formation ou encore des infrastructures d’accueil de ces systèmes. Au sein de l’Army Futures Command (AFC) qui a en charge d’intégrer les travaux de modernisation, le FVL fait l’objet comme les autres priorités d’un Cross-Functional Team (CFT), en l’occurrence une équipe de 28 personnes (comprenant des spécialistes opérationnels, en acquisitions, en R&D, etc.) sous le com-mandement du général de brigade Walter Rugen, lequel a directement accès aux bureaux du chef d’état-major, du vice-chef d’état-major et du secrétaire à l’Army. Au niveau des décideurs, le FVL est le creuset de la coordination entre 6 organisations : l’état-major de l’Army (les bureaux G3/G5/G7 Plans, opérations et entraînement), l’Aviation & Missile Command (AMCOM) pour les questions de soutien et de maintenance, l’US Army Aviation Center of Excellence de Fort Ruck-er (l’école d’arme de l’Army Aviation assurant notamment l’instruction), la communauté RDT&E (notamment l’Aviation & Missile Center du Combat Capabilities Development Command subordonné à l’AFC), le bureau programme (Program Executive Office –Aviation) et l’US Army Special Operations Aviation Command (USASOAC). Le CFT oeuvre avec bien d’autres acteurs : autres CFT au travers d’une équipe d’intégration horizontale au sein de l’AFC, industriels, contributeurs académiques, etc. 

La modernisation des flottes existantes 

La première étape de l’Army Aviation, sur le court-moyen terme, contribuant à l’objectif « MDO Capable » de 2028, est de poursuivre la modernisation des flottes existantes. Le chantier, qu’il s’agisse de l’acquisition d’appareils neufs ou de rétrofit, concerne potentiellement (outre les 278 avions de renseignement ou de soutien alignés par l’AA): 

  • 791 hélicoptères d’attaque Apache AH-64, qui sont utilisés aussi en reconnaissance, en collaboration avec les drones, depuis le retrait de l’OH-58 Kiowa. Les versions D et E, actuellement en inventaire, doivent converger vers un unique standard AH-64E V6, puis Block II, en seconde moitié de la décennie 2020. La production doit cesser en 2029 ; 
  • 2.135 hélicoptères de manoeuvre (« utilitary » dans la désignation américaine) UH/HH-60 Blackhawk. Les deux variantes UH-60 V et M vont converger vers la variante M ; 
  • 477 hélicoptères utilitaires UH-72 Lakota ; 
  • 538 HTL Chinook, soit 465 CH-47F et 73 MH-47G des forces spéciales. Il s’agit déjà de la flotte la plus « jeune » de l’inventaire de l’Army Aviation, qui pourrait être modernisée au standard Block II ; 
  • 115 systèmes de drones tactiques RQ-7B Shadow devant être mis au standard BLK II ; 
  • 204 systèmes de drones de théâtre MQ-1C Gray Eagle (variante du fameux Predator) devant être portés au standard Gray Eagle Extended RangeCOL Rob Barrie, PEO Aviation Objectives, présentation, PEO Aviation Industry Day, 12 February 2020. 

Sur le plan organisationnel, ces appareils doivent continuer à doter les onze brigades d’aviation de combat actuelles (qui seront réorganisées en douze unités à l’horizon considéré) à raison de 538 Apache, 583 Blackhawk, 132 Chinook et autant de systèmes de drones RQ-7 et de MQ-1CMs. Leslie Hyatt, PEO Aviation Roadmap, présentation, PEO Aviation Industry Day, 12 February 2020. 

L’Apache ainsi que le Blackhawk doivent bénéficier, à partir de 2027, d’une modernisation de leur motorisation avec le programme Improved Turbine Engine (ITE). GE Aviation, attributaire du programme, explique que la nouvelle turbine T901 qui en découle affichera 50% de puissance et 25% d’efficience supplémentaire par rapport à l’actuel T700, per-mettant d’augmenter les rayons d’action du Blackhawk et de l’Apache, actuellement à 100 km, à 260 km et 215 km res-pectivement, de doubler à plus de deux heures le playtime de l’Apache à 100 km ou encore d’augmenter de 150%, à près de 6000 lb (2,7 t), la charge utile du Blackhawk. Cet ITE sera ensuite intégré aux programmes du FVL. 

Il s’agit bien, comme évoqué ci-dessus, d’une poursuite des efforts de modernisation car l’Army a activement financé les rétrofits et les acquisitions d’appareils neufs depuis 20 ans. Elle se trouve dans la situation paradoxale d’une flotte « jeune » dont environ 2.000 de ses quelques 5.000 avions et hélicoptères (sans compter les 17.500 drones) sont rentrés en service au cours de la dernière décennie, mais composée d’appareils principaux dont la conception fondamentale re-monte à la guerre froide. Cette modernisation s’impose d’au-tant plus que la mise en service des systèmes FVL sera très progressive et ne concernera qu’une partie de la flotte, en ce qui concerne du moins les hélicoptères. On trouvera encore à l’horizon 2040 dans l’inventaire de l’US Army de nombreux Apache, Blackhawk, Lakota et Chinook… 

Les quatre grands axes du FVL 

Le programme FVL proprement dit ne date pas d’hier puis-qu’il est né en 2008. Il se concrétise actuellement par quatre lignes d’effort : deux lignes de plateformes (FARA et FLRAA), les futurs systèmes télépilotés (FUAS, soit les drones et les nouvelles munitions) ainsi que l’architecture ouverte modulaire (MOSA). Ces quatre programmes figurent parmi les 31 programmes de priorité absolue (plus les armes hyperso-niques et à énergie dirigée), figures de proue des Big Six, présentés par l’Army dans le cadre du budget 2020. 

Le programme Future Attack Reconnaissance Aircraft (FARA) 

Il correspond à la CS1, une capacité disparue avec le retrait du Kiowa depuis deux ans et qui constitue le principal gap de l’Army Aviation, selon les hiérarques de l’Army. A ce titre, le FARA doit remplacer la moitié des Apache déployés dans les Heavy Attack Reconnaissance Squadrons où ils opèrent avant tout en mission de reconnaissance avec les drones RQ-7Joseph Trevithick, « Army To Replace Nearly Half Of Its Apache Gunships With Future High-Speed Armed Recon He-lo », The War Zone, March 27, 2019. . Cet appareil doit être le « combattant au couteau » de l’Army Aviation, en mesure d’éviter la détection pour constituer, notamment, la pièce centrale du « bréchage » de l’IADS ad-verse. Le FARA doit ainsi être un « digital quarterback » comme le F-35, opérer en Manned-Unmanned Teaming avec les munitions maraudeuses (Air-Launched Effects, ALE, voire ci-dessous) qu’il doit délivrer tant pour attaquer lui-même les systèmes adverses – avec de nouveaux missiles longue portée également – que pour fournir du renseignement de ciblage au profit des feux dans la profondeurAviation Missile Research Development and Engineering Center (AMRDEC), Aviation Development Directorate (ADD), Program Solicitation For Future Attack Reconnaissance Air-craft (FARA) Competitive Prototype, Jun 22, 2018. 

Moins ambitieuse que le défunt RAH-66 Comanche, la plate-forme devra tirer sa survivabilité non pas tant d’une furtivité qui résidera surtout dans ses émissions sonores, que de sa taille, de sa vitesse et des tactiques employées. Du reste, le général Rugen a récemment précisé des limitations importantes à l’emploi du FARASydney J. Freedberg Jr., « Killer Angel On Your Shoulder: Army’s Future Armed Reconnaissance Aircraft », Breaking Defense, August 13, 2018. . Même si la doctrine d'emploi tac-tique de l'Army Aviation (ATP 3-04.1) inclut, à l'instar de la doctrine française de l’aérocombat, l'attaque au-delà de la ligne avancée des forces terrestres amies, l’embuscade ten-due par les Irakiens à Kerbala en 2003 sur les Apache, maladroitement avancés en raid dans leur dispositif (qui s’était soldé par l’endommagement de 30 appareils et la perte de l’un deux), semble rester dans les mémoires, ce qui limiterait dans la pratique les opérations d’attaque dans la profondeur. Le FARA ne sera donc pas employé de façon autonome dans cette profondeur, il devrait évoluer en appui, « over the shoulder », des forces terrestres, qu'il s'agisse d'unités mécanisées sur NGCV ou d'unités d'assaut aéromobile. 

Les spécifications basiques fixées par l’Army sont la motorisation par l’ITE, une masse maximale en charge de 14000 lb (6,35 t), une vitesse de croisière à pleine charge d’au moins 180 noeuds (330 km/h), un armement composé, entre autres, des ALE et d’un canon de 20 mm. 

Les spécifications désirées mais négociables concernent, notamment, le rayon d’action (135 MN, 250 km), l’endurance (> 2 heures), une charge utile reconfigurable de l’ordre de 1400-2000 lb (635-907 kg) et le caractère optionnellement pilotable. 

Airbus avait annoncé sa participation à ce programme avec son Rapid and Cost-Effective Rotorcraft (RACER)Dan Parsons, « Airbus a RACER in US Army Future Attack-Recon Aircraft Competition », Rotor & Wing International, February 19, 2019.  mais il a été écarté dès la phase initiale de sélection. Les deux compétiteurs retenus en mars 2020 pour les phases de conception, de fabrication et de tests sont Sikorsky (désormais intégré au groupe Lockheed Martin), qui propose le S-97 Raider, et Bell, qui propose l’Invictus 360. La sélection du vainqueur et le lancement formel de la phase d’Engineering and Manufacture Development (EMD) du programme doit intervenir en 2024 pour une éventuelle capacité opérationnelle initiale (IOC) en 2030Données budgétaires de la requête FY21, citées dans Con-gressional Research Service, Army Future Vertical Lift (FVL) Program, In Focus, Updated April 29, 2020. 

Conception d’emploi du FARA 

2-2Source : Dan Bailey, US Army Future Vertical Lift Project Updates, présentation, 11 septembre 2019

Images d’artiste du Bell 360 Invictus et du Sikorsky S-97 Raider 

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Le programme Future Long Range Assault Aircraft (FLRAA) 

Correspondant à la CS3, le FLRAA est destiné à remplacer les UH-60 pour les missions d’assaut aéromobile, de soutien et d’évacuation sanitaire (EVASAN). Contrairement au FARA, si l’Army est le service leader du programme, l’appareil sera aussi mis en oeuvre par le Corps des Marines et l’US Special Operations Command, ce qui complique les spécifications et les appréciations de coût, notamment. Il n’en reste pas moins que le programme est le plus avancé des éléments du FVL. Le Critical Design Review du FLRAA se basera ainsi sur le Joint Multi-Role Technology Demonstrator (JMRTD), lancé depuis 2016 et qui s’achève en 2020. S’y sont affrontés quatre compétiteurs : les appareils proposés par AVX Air-craft, Karem Aircraft, le SB-1 Defiant proposé par Boeing-Sikorsky (comme le S-97, c'est un appareil hybride à rotors coaxiaux contrarotatifs avec hélice propulsive, censé conserver l'agilité à basse vitesse de l'hélicoptère conventionnel), et le convertible V280 Valor proposé par Bell. Comme pour FARA, ce sont ces deux derniers projets qui ont été retenus en mars 2020Jen Judson, « Army selects companies to continue in long-range assault aircraft competition », Defense News, 2020, March 16. . L’IOC du FLRAA était initialement envisagée pour 2034Mr. Timothy Vinson, Apache Introductory Brief, Apache Project Office, Jul 2018.  mais l’Army a décidé d’accélérer le programme pour parvenir à une première unité équipée dès 2030Dan Bailey, US Army Future Vertical Lift Project Updates, présentation, 11 Sep 2019. 

Les spécifications du JMRTD qu’atteignent voire dépassent les deux compétiteurs sont, entre autres, une charge utile de 12 combattants équipés, une vitesse de croisière de plus de 425 km/h, un rayon d’action de 424 km (d’où un concept d’emploi de manoeuvre 3D d’une heure, dans des profondeurs opératives). C'est la vitesse qui constitue la principale rupture en matière de performances par rapport au Blackhawk. Elle a été déterminée par la mission EVASAN : elle prévoit une évacuation « zéro risque », en une heure, en tout point de la zone d’opération d’une brigade de combat de 300 km2, ce point se trouvant donc à des distances maxi-males de 150 à 212 km du centre de l’unité – où l’on présuppose la présence de l’hôpital – selon la géométrie de la zoneCPT Nathaniel D. Bastian, MS USA et alii, « The Future of Vertical Lift: Initial Insights for Aircraft Capability and Medical Planning », Military Medicine, 177, 7:863, 2012. 

La Request for Information (RFI), émise pour le LRAA, précise les capacités attendues par l’Army, l’USMC et l’USSOCOM (voir tableau ci-dessus). À noter que les spécifications de l’Army ne mentionnent pas d’armement mais les différents entretiens laissent penser que le FLRAA pourra lui aussi mettre en oeuvre, au moins, les ALE. L’USMC, en revanche, a clairement un besoin pour une intégration d’armements au FLRAA qu’il destine non seulement aux missions utilitaires et d’assaut mais aussi à l’appui aérien rapproché ou encore à l’escorte des V-22 OspreyLong Range Assault Aircraft (FLRAA) Request For Informa-tion (RFI), Apr 5, 2019. 

Incertitudes sur les autres programmes de plateformes 

Concernant ses autres hélicoptères, l’Army n’a pas encore lancé de programmes relevant de la CS2 pour remplacer les Apache déployés dans les Attack Reconnaissance Battalions dont la mission est avant tout l’attaque. C’est l’un des sujets d’incertitude majeur quant à la configuration précise que prendra le FVL. 

Quant à la modernisation du Chinook CH-47F en version Block II, son avenir est lui aussi incertain : le DoD avait déci-dé d’y renoncer dans le cadre de sa requête budgétaire 

2020Sydney J. Freedberg Jr, « Army Lumbers Into Future: $33B In 2020-2024 For Big 6, Eventually », Breaking Defense, March 12, 2019.  mais le Congrès a rétabli les financements de prépa-ration de cette entreprise. La décision de procéder à cette modernisation doit intervenir en 2021Dan Parsons, « Boeing to boost Block II testing as uncer-tain fate of Chinook factory brightens », Vertical Mag, Fe-bruary 3, 2020. . Ce chantier, s’il est effectivement lancé, devrait probablement repousser la prise en compte d’une plateforme de transport lourd de nouvelle génération, dernier élément du FVL, à l’orée des années 2050Ibidem et COL Tom O’Connor, Aviation Branch Update, présentation, 2017 AAAA Cribbins Aviation Support Sympo-sium, 16 Nov 17. . L’Army devrait préciser son besoin en la matière en 2023. 

Les Future Unmanned Aircraft Systems (FUAS) 

Le troisième axe du FVL comprend tout d’abord les nouveaux systèmes de drones proprement dit qui se concrétisent dans trois programmes : 

  • Les Advanced UAS (AUAS) qui doivent remplacer les drones de théâtre Gray Eagle et dont on sait encore peu de choses ; 
     
  • Les Future Tactical UAS (FTUAS) qui doivent prendre la suite des drones tactiques RQ-7 Shadow. Ces drones doivent être mis en oeuvre sans piste, disposer de capacités d’autonomie accrues et de caractéristiques (manoeuvrabilité, navigation, etc.) leur permettant d’opérer en environnement contesté. Quatre compétiteurs sont en lice : Arcturus UAV avec le Jump 20, L3 Harris Technologies avec le FVR-90, Textron avec l’Aerosonde HQ et Martin UAV avec le V-BatSydney J. Freedberg Jr., « FVL: Attack Of The Drones », Breaking Defense, March 10, 2020.  ; 
     
  • Enfin, les Short Range Recon (SRR) UAS, les mini-drones déployés par les combattants débarqués, que nous ne développerons pas ici plus avant. 
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Tableau des spécifications de l’Army pour le Future Long Range Assault Aircraft (FLRAA) et comparaison avec les performances affichées du Valor et du Defiant 2-5Source spécifications du FLRAA : Long Range Assault Aircraft (FLRAA) Request For Information (RFI), Apr 5, 2019

Font partie également de ces FUAS, les Air Launched Effects (ALE), c’est-à-dire les drones/missiles air-sol maraudeurs, déjà évoqués. Ils représentent une pièce essentielle du système de systèmes FVL dans la mesure où ils disposeront de charges diverses qui en feront les véritables éléments au contact de l’AA, en contre-A2/AD : ISR/BDA, cinétique et brouillage stand-in, désignation d’objectifs, leurres, etc.

Ces appareils doivent de plus opérer en essaim. Le besoin de l’Army semble s’orienter vers deux catégories d’ALE, l’une de drones de maraudage lents et l’une de drones plus rapides et de plus longue portée. Le vrai défi est de pouvoir mettre en oeuvre ces drones depuis la très basse altitude (moins de 100 m). Aucun système de la sorte n’existe actuellement sur le marché. Le plus proche est le drone ALTIUS (4 heures d’en-durance, portée de 400 km mais charge utile de 3 kg) que l’Army a testé avec succès en 2018 depuis un Blackhawk, pour valider le tir de drone depuis un hélicoptère. Là encore, de multiples expérimentations sont prévues dans les années à venirJen Judson, « Coming soon: More complex, air-launched drone demonstrations », Defense News, April 23, 2019. . Une première version de ces ALE doit rentrer en service sur les appareils actuels aux alentours de 2024-2025Sydney J. Freedberg Jr, « FVL: The Army’s 10-Year Plan For FARA Scout », op cit. .

L’ensemble de ces éléments mais aussi les éléments terrestres (véhicules, combattants) doivent opérer en « Advanced Teaming », version plus élaborée du Manned-Unmanned Teaming liant incrémentalement AH-64 et drones Gray Eagle / Shadow 200 au sein des Combat Aviation Brigade de l’Army, depuis une dizaine d’années. Un Advanced Teaming Demonstration Programme (A-Team) destiné à tes-ter les technologies et les concepts d’emploi de cette collaboration a été lancé en 2019 pour culminer en 2023Garrett Reim, « US Army starts manned-unmanned demo for future rotorcraft », Flght Global, 14 March 2019. .

FARA, FLRAA et les drones embarqueront enfin de nouveaux missiles, développés incrémentalement : les Modular Missile Technologies (MMT) peu coûteuses, reprenant le segment de la roquette guidée Advanced Precision Kill Weapon System (APKWS) et le Joint Air-Ground Missile (JAGM) qui commence à succéder aux Hellfire depuis l’an dernier. L’Army entend également acquérir une nouvelle Long Range Precision Munition (LRPM) pour conférer à ses plateformes une capacité d’engagement stand-off a minima. La RFI, diffusée en septembre 2019, stipule que ce missile est destiné à engager des cibles stationnaires ou mobiles (IADS, C2, véhicules blindés et personnel) par tous temps et en l’absence de GPS. Il doit afficher une portée de plus de 30 km et une vitesse subsonique haute (1000 km/h) et bien sûr disposer d’une liaison de donnéesDoD News, « Army Issues RFI for Long Range Precision Munition (LRPM) for Rotary Wing and Unmanned Aircraft Systems », Defense Systems Journal, Sep 11, 2019. . Le missile Spike-NLOS, même s’il n’est pas en mesure de frapper ses cibles dans toutes les conditions re-quises, a été testé avec succès sur Apache et fournira à partir de 2023, une capacité intérimaire de LRPMFuture Vertical Lift Cross Functional Team (FVL CFT), « Projecting Long-Range Power and Payload », entretien avec Armor & Mobility, March/April 2020, p.25. .

Vision de l’Advanced Teaming de l’Army Aviation 

2-6Source : Carvil E.T. Chalk, Aviation S&T for the AMTC, U.S. Army Research, Development And Engineering Command, Aviation Development Directorate, presentation, 20 November 2018 

L’architecture ouverte modulaire (Modular Open System Approach, MOSA) 

Ce quatrième axe est transverse aux trois précédents. La MOSA doit permettre aux différents programmes de partager le maximum d’éléments et ainsi, d’une part, réduire les coûts de développement, d’autre part, accélérer et flexibiliser la modernisation des capacités, l’obsession du Pentagone et du Congrès pour renverser la dynamique d’érosion de la supériorité américaine face aux montées en puissance russe et chinoise. 

En effet, l’architecture ouverte modulaire (MOSA) permet de désolidariser la gestion de la plateforme, au long court, et celle de ses équipements et charges utiles qui peut enfin adopter un cycle de rafraîchissement plus rapide en phase avec la vélocité des évolutions technologiques. 

L’Office of the Secretary of Defense (OSD) préconise la mise en oeuvre de ces MOSA depuis plusieurs années dans le cadre des mesures du Better Buying Power, déployées par Ashton Carter au début de la décennie 2010. Le recours à ces architectures, sauf exception, est devenu une obligation légale pour tous les programmes d’armements majeurs avec la National Defense Authorization Act de l’année 2017 (Section 805). Généralement lancés et sponsorisés par les armées, une quinzaine de standards matériels et/ou logiciels pour systèmes terrestres et aériens, principalement l’avionique et la vétronique, ont été produits ou sont en train d’être produits par les industriels américains, réunis en de vastes consortiums. De natures, portées et cheminements variés, ces architectures fournissent surtout des standards d’interface entre les composantes et les plateformes et l’approche pour réaliser et valider les éléments correspondant. Elles exploitent des Government Reference Architectures (GRA) offrant un point de référence pour une fonction donnée (par exemple, communications, radars, drones, guerre électro-nique, systèmes PNT)John Bowling, Open Systems Standards and Agile Acquisi-tion, AF Life Cycle Management Center, présentation, Oct 2018. 

Dans le cas du FVL, le travail sur la MOSA a été lancé dès le lancement du programme en 2009 avec le développement d’une GRA, en l’occurrence nommé Joint Common Architecture (JCA). De multiples études ont été contractualisées avec les industriels (Boeing, Lockheed Martin/Sikorsky, Honey-well, UTC/Rockwell Collins) d’où il ressort que cette architecture devrait notamment se baser sur le standard Future Airborne Capability Environment (FACE) concernant les 

interfaces logicielles en avioniqueMike Hirschberg, « JMR Technology Demonstration Up-date: The Road to Future Vertical Lift », VERTIFLITE Vol. 62, No. 1 January/February 2016, p. 26. . De fait, FACE représente le plus ancien standard MOSA, le plus large quant à son scope et à la participation industrielle (l’« Open Group » réunissant tous les grands plateformistes et équipementiers), initialement sponsorisé par la Navy et l’ArmyDennis Stevens Lockheed Martin Corporation, Jeffry A Ho-wington Rockwell Collins, David Boyett US Army AMRDEC ; Kirk Avery, Lockheed Martin Corporation, FACE™ Master Class, présentation, April 28, 2016 IOA 2016 London, En-gland ; Joyce L. Tokar, PhD, Pyrrhus Software, LLC, An Exami-nation of Open System Architectures for Avionics Systems – An Update Air Force FACE™ TIM Paper, March, 2017. . De multiples démonstrations, les Mission Systems Architecture Demo (MSAD), menées sur 4 ans dans le cadre de la JMRTD, ont précisément pour objet de tester et de murir ces standards. L’Army mentionne bien sûr l’architecture JCA/FACE mais aussi son pendant matériel, le Hardware Open Systems Technologies (HOST)Dan Bailey, op cit. . Impulsé par la Navy, ce dernier standard est déjà mis en oeuvre, par exemple, sur des composants du F-35John Keller, « SOSA open-systems standards for military embedded computing could double or triple the market », Military & Aerospace Electronics, Jan 29th, 2019, & « Open-systems electronics standards for military embedded compu-ting gaining money and traction », Military & Aerospace Elec-tronics, Feb 6th, 2019. . Le FVL va tout autant reposer sur la Sensor Open Systems Architecture (SOSA). Incubée dans FACE en 2015, initiée par l’Air Force, la SOSA a vocation désormais à standardiser les interfaces logicielles et physiques pour tous les types de capteurs, systèmes de guerre électronique et de communication. C’est en fait autour de la SOSA que semble s’organiser la convergence des différents autres standards, pas unique-ment pour le FVL et y compris dans le domaine terrestreJack Browne, « One-Size SOSA Fits the Army, Navy, and Air Force », Microwaves & RF, Feb 27, 2020. 

A noter que la communité des éléments entre le FARA et le FLRAA ne s’arrête pas aux architectures avioniques ou à l’ITE. Les deux appareils doivent, par exemple, aussi partager le même cockpit. 

Expérimentation de l’Advanced Teaming de l’Army Aviation 

2-7Source : Carvil E.T. Chalk, Aviation S&T for the AMTC, U.S. Army Research, Development And Engineering Command, Aviation Development Directorate, presentation, 20 November 2018 

Les interdépendances principales avec les autres priorités de modernisation 

Mentionnons enfin l’étroit couplage du FVL avec les autres priorités de la modernisation de l’Army

  • Les LRPF, que le FARA et ses drones doivent éclairer. On rappellera ici que l’Army oeuvre au doublement de portée de l’ensemble de ses systèmes et en conçoit de nouveaux. Cela concerne évidemment les feux tactiques avec notamment l’Extended Range Cannon Artillery (ERCA) et les roquettes GMLRS Extended Range (GMLRS ER) tirant à 150 km. L’Army entend aussi se doter des moyens per-mettant de frapper avec précision l’adversaire dans la portée opérative, avec le Precision Strike Missile (PrSM) remplaçant l’ATACMS et devant dépasser les 500 km et, même stratégique, avec le Strategic Long Range Canon et le Long-Range Hypersonic Weapon (LRHW) ; 
     
  • Le Network, bâtissant une architecture de transmission à la fois plus facile à configurer, plus flexible, aux éléments plus mobiles que par le passé, et plus résiliente face aux capacités de guerre électronique dont les Russes et les Chinois font étalage. Il couvre également les nombreux travaux relatifs à l’environnement informatique et aux applications employées par les états-majors, unités, plateformes et combattants débarqués ; 
     
  • L’Assured Positinning Navigation and Timing (APNT) piloté par un CFT spécifique. La capacité à maintenir ces capacités de PNT en environnement électromagnétique dégradé, notamment sans le GPS qui en représente en-core l’épine dorsale, est une priorité de l’Army. Comme les autres services, elle oeuvre à une stratégie plurielle : emploi du GPS avec le M-Code et nouvelles antennes antibrouillages mais aussi recours à d’autres moyens spatiaux, à des pseudolites, enfin, étalé sur le moyen-long terme, développement de centrales inertielles et de systèmes d’horlogerie embarqués affichant des performances leur permettant de se passer de sources PNT extérieures (avec l’appui déterminant de la DARPA). Précisons, enfin, que le CFT APNT a pris en compte également, pour des raisons de cohérence, le développement des capacités spatiales d’ISR / Reconnaissance, Surveillance and Target Acquisition (RSTA) ainsi que celles de la Navigation Warfare, la guerre électronique focalisée sur le PNTJeri Manley, Deputy Director, Assured Positioning, Naviga-tion and Timing Cross Functional Team, 2019 Redstone Up-date, Futures Command presentation, Dec 5, 2019. 

Les financements 

L’Army serait encore incertaine et, en tout cas, n’a pas communiqué précisément sur les cibles d’acquisition des FARA et FLRAA mais explique que le remplacement nombre pour nombre des appareils actuels n’est pas forcément une approche pertinente. 

  • Concernant le FARA, un des responsables du PEO-Aviation a indiqué récemment qu’il « n’était pas en désaccord » avec les estimations indépendantes portant sur l’achat de 300 à 400 appareils pour un montant de 15-20 Mds$Sydney J. Freedberg Jr, « FVL: The Army’s 10-Year Plan For FARA Scout », Breaking Defense, March 26, 2020. . Cependant, tout dépendra de la décision de l’Ar-my de procéder ou non au développement d’un successeur dédié à l’AH-64, qui confinerait le FARA aux escadrons de reconnaissance. Le scénario d’une étude de coût, réalisée par les chercheurs du CSIS, part sur une hypothèse d’acquisition de 280 appareils, crédible avec cette logiqueRhys McCormick, Gregory Sanders et Andrew P. Hunter, Assessing the Affordability of the Army’s Future Vertical Lift Portfolio, CSIS, November 13, 2019, note de bas de page p.13.  ; 
  • Pour le FLRAA, le CSIS prend comme présupposé l’acquisition de 378 appareils et le retrait d’un nombre équivalent d’UH-60. 

De façon générale, le budget Modernization de l’Army (total des crédits RDT&E et acquisition) a atteint un pic de 42 Mds$ en 2018 et se réduit depuis ; un déclin qui devrait se pour-suivre sur la FY21 puis ce budget devrait se stabiliser à environ 34 Mds$ dans la programmation à 5 ans (Future Years Defense Program, FYDP), allant de pair avec le budget 2020. Sans surprise en raison des grands programmes de plate-formes, les crédits Aviation comptent pour la plus grosse part de ce budget, à égalité avec ceux consacrés aux véhicules terrestres, soit 16 % (près de 5 Mds$, soit 19% du total des crédits d’acquisition, et un peu plus de 1 Mds$, soit 9% du total des crédits RDT&E). Sur 2020 et l’ensemble de cette FYDP, ce sont 4,7 Mds$ qui seront dépensés sur le FVLSydney J. Freedberg Jr., « Army ‘Big Six’ Ramp Up in 2021: Learning From FCS », Breaking Defense, March 14, 2019. . Paradoxalement, comme le FVL est un portefeuille capacitaire encore peu mature, n’incluant pour ce court-moyen terme que des crédits RDT&E, il représente la plus petite fraction des fameux « Big Six ». Les dépenses somptuaires viendront plus tard, éventuellement si les conséquences budgétaires de la crise le permettent encore (voir ci-dessous). 

Pour le plus long terme, tant le CSIS que le CBOCongressional Budget Office, The Cost of Replacing Today’s Army Aviation Fleet, May 2019.  ont réalisé des études d’estimation des coûts d’acquisition (CBO) et de possession plus globale (CSIS) de ces nouvelles plateformes. Les experts des deux organismes restent évidemment prudents compte tenu des nombreuses incertitudes programmatiques : modernisation des CH-47F ? retrait ou redéploie-ment des AH-64E avec l’arrivée du FARA ? maintien ou non de la production du Blackhawk avec l’arrivée du FLRAA ? etc. 

De leurs différents scénarios, ils tirent cependant la conclusion que les coûts d’acquisition du FLRAA et du FARA devraient rester abordables si on les compare avec les crédits dépensés par l’Army depuis 20 ans pour moderniser son Army Aviation. Il est à noter cependant que ces études n’indiquent pas si elles prennent en considération les autres programmes FVL, tels que les drones, ni d’éventuels lancements de programmes sur les CS2 et CS6. 

Le CBO est parti d’un coût d’acquisition unitaire moyen jus-qu’en 2050 de 53 M$ pour le FLRAA et de 40 M$ pour le FARA (en $ constant FY18). A noter d’ailleurs que Bell an-nonce un coût unitaire (Flyaway ?) pour son V280 de 30 M$Tyler Rogoway, « We Talk V280 Valor Versus V‑22 Osprey With Bell's Head Of Tiltrotor Systems », The War Zone, May 29, 2018. . Sur cette base, le CBO estime que les montants d’acquisition annuelle de l’Army pour ses aéronefs, incluant 30 FARA et 30 FLRAA atteindraient un plateau de 4 Mds$ durant la première partie de la décennie 2030 pour décliner ensuite. Même si les acquisitions passent vers 2038 à 60 FLRAA pour accélérer le rajeunissement de la flotte, on reste loin des 6 Mds$ dépensés en moyenne sur la période 2010-2018. Le bureau Cost Assessment and Program Evaluation (CAPE) du Pentagone estime au demeurant que dans le cas des appareils à voilure tournante, les dépenses d’opérations et de maintenance constituent historiquement à elles seules 68% de leur coût de possession. 

2-8Sydney J. Freedberg Jr., Army Aviation Modernization, eBrief, Breaking Defense, April, 2019, p.5 

Enjeux et problématiques industriels 

Le FVL représente un enjeu industriel majeur, la clé de la survie des compétences de la BITD américaine en la matière. Ces dernières semblent avoir été mises à mal par l’absence de développement de projets entièrement nouveaux au sein des forces américaines depuis les années 80, donc par des financements RDT&E ténus du Pentagone qui reste le principal client des industriels américains. Il semble que les hiérarques de l’Army soient plus que jamais conscients de cette question et entendent la prendre pleinement en compte dans la gestion du programme, la sélection des fournisseurs, etc.Loren Thompson « Army Fears If ‘Future Vertical Lift’ Fal-ters, Serious Fallout For Industry Might Follow », Forbes, May 26, 2020.

Les points de défaillances potentiels, selon Rhys McCormick et Andrew P. Hunter du CSISRhys McCormick, Andrew Philip Hunter, Assessing the In-dustrial Base Implications of the Army's Future Vertical Lift Plans, Center for Strategic and Budgetary Assessment, May 6, 2020. , résideraient dans les équipementiers sous-traitants de niveau 3. En effet, la nouvelle génération des systèmes FVL va s’accompagner d’une accélération de la mise en oeuvre des nouveaux procédés industriels chez les grands plateformistes, Bell et Sikorsky, et leurs grands équipementiers sous-traitants : impression 3D, « digital twin » (une technologie née avec la conquête spatiale consistant en une réplication numérique d’un équipe-ment réel pour évaluer, avec force intelligence artificielle, l’évolution de ses performances, ses points de fragilité, etc.), maintenance prédictive, etc. L’enjeu est de savoir si ces équipementiers de rang 3 pourront s’adapter, d’autant que les plateformistes, principalement intégrateurs depuis des décennies, comptent réinternaliser en leur sein la fabrication de plusieurs éléments. 

Une autre problématique réside dans le niveau de préservation de la propriété intellectuelle. Les MOSA la garantissent en théorie, dans une certaine mesure, en définissant des interfaces matérielles et logicielles communes aux sous-systèmes mais elle reste une question sensible. Selon les experts du CSIS, c’est même la partie la plus difficile du FVL. Les industriels se demandent, par exemple, si l’objectif réel de l’Army est d’accélérer la modernisation de ses systèmes ou de réduire les coûts. Quoi qu’il en soit, il semble que la MOSA doive encore faire l’objet de multiples discussions entre les deux parties pour être mature. 

Un programme dont la destinée précise reste encore incertaine 

L’enjeu industriel, de même que l’ancienneté de la quasi-totalité des designs de plateformes actuels, ne laissent planer que peu de doutes sur la poursuite du FVL. Cependant, l’ampleur réelle et la physionomie qu’il revêtira au final reste des inconnues à ce stade. Tout d’abord, de multiples déci-

sions programmatiques restent à prendre, notamment sur un futur appareil d’attaque devant succéder aux Apache qui ne seront pas remplacés par le FARA (le CS2), sur le futur aéronef de transport lourd qui devra faire suite au Chinook (CS6) et, bien entendu, sur la transition des flottes actuelles vers ces nouveaux systèmes. 

Ensuite, plusieurs facteurs peuvent faire dérailler l’entre-prise. Le premier venant à l’esprit est évidemment le volet financier. Si les quatre programmes majeurs du FVL semblent pouvoir être financés dans l’enveloppe des efforts actuelle-ment consentis, la marge est bien faible pour prendre en compte les autres programmes évoqués ci-dessus, dont la criticité va pourtant rapidement se poser et forcera sans doute l’Army à des compromis douloureux. Encore faut-il que les financements soient maintenus ce qui, dans le con-texte budgétaire post-COVID-19, n’a rien d’évident. Si les crédits de la FY21 pourraient rester préservés, bon nombre d’experts américains craignent une réduction massive de l’effort, que cette dernière provienne de l’affirmation des « budget hawk » au Congrès devant les déficits abyssaux générés par le vaste programme de stimuli économique ou d’une orientation démocrate en cas de victoire de Joe Biden en novembre, entendant classiquement rééquilibrer les dé-penses militaires et non-militaires. Le risque d’une saignée de même ampleur que celle du Budget Control Act de 2011 est donc plausible. Dans ce type de situation, les services privilégient systématiquement le maintien de la Readiness, ce qui se ferait mécaniquement au détriment de la modernisation, dont le FVL. Pire encore, compte tenu des fractures qui parcourent la société américaine et de la personnalité du président Trump qui ont polarisé comme jamais le paysage politique, il ne faut pas exclure, par exemple, à l’occasion des élections de novembre, une crise majeure paralysant les institutions. 

Ces sombres perspectives ne sont pas pour autant gravées dans le marbre. Une reprise économique plus vigoureuse qu’anticipée, à laquelle semblent d’ailleurs se raccrocher les chefs d’entreprises et les marchés, reste tout à fait plausible. De plus, on pourra objecter que la situation stratégique n’est plus la même que celle des années 2008-2010 : les défis posés par la Russie et la Chine, qui ont au demeurant remis en selle les « defense hawks » depuis le milieu de la décennie, devraient rester particulièrement significatifs. 

Mais là encore, gare aux trompe-l’oeil. Dans le programme de modernisation de l’Army, seuls les Long Range Precision Fires, la priorité n°1, et la défense antiaérienne et antimissile sont vraiment requis sur les deux grands théâtres potentiels. En revanche, le FVL, tel qu’il se préfigure, comme les autres priorités que sont le NGCV ou le Soldier Lethality, sont taillés pour doter les Etats-Unis d’un dispositif aéroterrestre face à la Russie mais n’ont que peu d’utilité dans les opérations sur les chaînes d’îles et les vastes étendues aéromaritimes du Pacifique occidental et de la Mer de Chine. Or, la Chine, bien plus que la Russie, s’affirme comme le véritable peer-competitor et la principale préoccupation des Américains. Mark Esper l’a résumé il y a quelques mois : « China, China, China ». 

Vient ensuite le facteur doctrinal et capacitaire. Même dans le cas où la dissuasion de Moscou de tout aventurisme dans ses atterrages reste une priorité, on perçoit, en ce moment, dans le débat stratégique américain, un glissement en faveur d’options opérationnelles relevant plutôt de la « Detterence by Denial », fondée en premier lieu sur la puissance de feu massive de portée opérative voire stratégique. De plus, si l’Army maîtrise comme aucune autre armée la manoeuvre aéromobile de grande ampleur, les manoeuvres 3D limitées, type raid, ciblant les centres déterminants en environnement fortement contesté, comme le prévoit le concept MDO, interrogent. Le concept d’un « bréchage » de l’IADS adverse par des FARA disposant d’une portée d’effet direct de quelques dizaines de km, leur permettant d'opérer à dis-tance de sécurité des batteries sol-air courte portée protégeant les systèmes les plus critiques adverses et éclairant les feux dans la profondeur, pourrait en soi faire sens. En revanche, l'action 3D intégrée sur ces centres déterminants, réalisée en synergie avec des unités aéromobiles débarquées, telle qu'imaginée actuellement, laisse pour le moins perplexe car ces unités, par essence peu mobiles, devraient par nécessité être projetées à proximité des objectifs adverses. Cette conception d'une réelle audace implique une prise de risques qui peut correspondre à des opérations spéciales (Rangers, par exemple) mais dont on peut douter qu’elle soit dans l’ADN des unités conventionnelles. En tout état de cause, elle exige au préalable de réduire significative-ment les capacités d'interdiction tactique adverses. De ce fait, le système de systèmes centré sur le FARA devrait bel et bien opérer en totale autonomie lors de la phase initiale de l'engagement. Et quid, dès lors, de l'emploi du FARA si le contexte interdit ou limite ces assauts aéromobiles ? Pour étayer plus encore sa crédibilité, la vision de l’Army devrait nécessairement intégrer le concept d’aéro-mécanisation qui ne pourra advenir, le cas échéant, qu’avec le successeur du Chinook et surtout totalement intégrer son action avec celle de l’USAF. 

Considérant tous ces éléments, c’est bien à une rupture d’ordre culturelle, la plus difficile de toute, qu’invitent le FVL et le MDO. Il ne serait donc nullement étonnant que ce der-nier concept finisse par être amendé et, avec lui, la stratégie capacitaire, au détriment des capacités de manoeuvre aéroterrestre, menant à une réorientation voire à une réduction de l'effort porté sur le FVL. 

Dernier facteur à prendre en compte, il convient de ne pas oublier que l’Army est le service qui présente le plus triste bilan en matière de gestion programmatique, ayant accumulé ces 20 dernières années des échecs retentissants, tels que le Future Combat Systems ou encore le RAH-66 Comanche. Certes, les institutions, comme les individus, apprennent de leurs erreurs et l’Army a exécuté avec succès, bon nombre d’autres projets, comme la numérisation. Cependant, les incertitudes, la faible marge de manoeuvre et les possibles failles esquissées ici rendent d’autant plus ardue la poursuite au long court de ce projet de FVL.

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