Sommaire du n°11 :
L’usage militaire d’aérostats remonte à plus de deux siècles, lors des guerres de la révolution française, et a connu son paroxysme durant la première guerre mondiale, que ce soit par le recours à des ballons captifs pour l’observation et les sondages d’artillerie, ou par le bombardement aérien de villes belges, anglaises ou françaises par les premiers dirigeables Zeppelin.
Malgré le déclin des dirigeables commerciaux avant la seconde guerre mondiale, les aérostats sont utilisés de manière continue jusqu’à aujourd’hui par des forces armées, notamment américaines. Outre des dirigeables porte-avions au milieu des années 1930 (USS Arkon et USS Macon), des dirigeables et des ballons ont servi pour la lutte anti-sous-marine pendant une partie de la guerre froide. Des ballons captifs contribuent toujours à la protection de périmètres, qu’ils s’agissent de frontières ou de bases militaires.
Appartenant à la famille des aéronefs, les aérostats désignent les « plus-léger-que l’air », par opposition aux aérodynes (les « plus-lourd-que-l’air »). Parmi les aérostats, le dirigeable se distingue du ballon par sa motorisation et sa capacité à être manœuvré. Les ballons peuvent être captifs ou libres.
Vecteurs aériens économiques et endurants, les aérostats bénéficient d’un regain d’intérêt pour l’ISR (Intelligence, Surveillance, Renseignement, missions qui feront l’objet d’un prochain article), mais aussi pour leur potentiel en matière logistique. En effet, le poids croissant de la logistique sur les capacités d’action d’une force militaire lors des opérations extérieures incite à explorer de nouvelles solutions de transport.
Pour des forces militaires ou de sécurité civile, l’intérêt porté aux dirigeables transporteurs de charges lourdes (LCA, pour Large Capacity Aircraft) provient de la conjonction de deux éléments : les retours d’expérience militaires récents en matière logistique, et la maturité à court terme de plusieurs projets de LCA ayant une capacité d’emport jusqu’à 60 tonnes.
Les limites des dirigeables comme vecteurs logistiques stratégiques (entre la métropole et un théâtre d’opération extérieur)
Les besoins massifs en vecteurs logistiques stratégiques ces dernières années, que ce soit pour le retrait d’Afghanistan ou pour le déploiement des dispositifs en Afrique sub-saharienne, ont souligné la faiblesse des moyens patrimoniaux français dans ce domaine, et une très forte dépendance à des opérateurs étrangers, en particulier russes et ukrainiens
Cependant, les projets au-delà de 100 tonnes demeurent théoriques, et tous les projets dans cette catégorie sont aujourd’hui suspendus ou abandonnés (RosAeroSystems, Aeros…)
Le succès, à court et moyen termes, de LCA moins ambitieux (autour de 2 tonnes, et entre 12 et 60 tonnes, matériels en cours de développement) sera très probablement la condition pour ré-explorer la faisabilité et l’intérêt des LCA « hyper lourds ».
L’intérêt des LCA comme vecteur logistique intra-théâtre (au sein même d’un théâtre d’opération)
En zone où la menace est sensible (zone non permissive), les retours d’expérience démontrent que tout convoi de ravitaillement circulant entre une FOB (base opérationnelle avancée ou forward operating base) et la BSIA (Base de soutien interarmées) devient une opération militaire mobilisant de gros moyens interarmées, et entravant pendant cette période la capacité de la force à exécuter sa mission principale.
Dans le cadre de la force Barkhane, les opérations « Charente » permettent le ravitaillement de l’ensemble des positions implantées dans la bande saharo-sahélienne (BSS)
Le transport automatisé de charges lourdes par des aérostats permettrait de s’affranchir du risque relatif aux IED et des contraintes du milieu naturel, dans le but à la fois de préserver les hommes et d’économiser l’emploi des moyens patrimoniaux des armées.
Dans une logique de standardisation menée depuis 2011, le container de 20 pieds (KC 20) constitue le principal conditionnement (50 à 80% des Unités à Transporter – UAT) de matériel utilisé par les Armées, qui en détiennent 6500 en propre aujourd’hui. Outre une manutention plus aisée (y compris le chargement dans les avions) et le fait que les camions tous terrains de l’armée de Terre ne peuvent pas transporter des containers de taille supérieure (y compris les porteurs polyvalents logistiques ou PPLOG), une logistique standardisée permet d’éviter les ruptures de charge entre le point de départ et la destination finale, où le container servira également à stocker et protéger le matériel. Le transport par container de 20 pieds, avec une capacité de chargement et déchargement autonome, apparaît donc comme un préalable pour tout nouveau vecteur logistique intra-théâtre.
Les avantages d’un dirigeable sont nombreux : coût d’utilisation inférieur aux autres vecteurs aériens, capacité d’emport entre 12 tonnes et 60 tonnes pour les projets les plus avancés (soit de 1 à 4 KC 20), possibilité à moyen terme de droniser les aérostats, faible empreinte au sol pour l’atterrissage et le décollage (vertical ou sur une piste courte et sommairement aménagée). La vitesse des principaux dirigeables oscillera entre 100 et 150 km/h, ce qui, conjuguée à une endurance d’au moins 1000 km, permettra d’effectuer un aller-retour Gao-Tessalit en une nuit.
L’utilisation des LCA n’aurait pas été possible sur tous les théâtres d’opérations où ont été engagées les armées françaises ces deux dernières décennies. Pour autant, son intérêt opérationnel pour le soutien logistique de nos forces armées déployées sur un théâtre d’opération apparait manifeste malgré des contraintes : le recours à les LCA doit être limité à des zones d’opérations où le niveau de menace est faible à modéré
Les dirigeables automatiques ou pilotés pourraient également contribuer à diverses missions comportant une dimension militaire ou sécuritaire : désenclavement de zones difficiles d’accès (par exemple après une catastrophe naturelle de grande ampleur), opérations dans des aires où le climat est particulièrement hostile au matériel et aux hommes (désert), ou encore de milieux pour lesquels les forces ne disposent pas de vecteurs logistiques adaptés (Arctique).
Une filière française particulièrement dynamique
Des dirigeables automatiques ou pilotés capables de transporter des containers sont actuellement en phase d’étude technique ou de démonstrateur en France, au Royaume-Uni, en Allemagne ou encore aux États-Unis. Une offre crédible de LCA se construit et devrait déboucher sur des modèles commerciaux à un horizon de cinq ans. La filière française se caractérise par son dynamisme. Dix des 19 démonstrateurs habités développés dans le monde depuis le milieu des années 1990 sont français
Trois projets seront labellisés en 2014 par le nouveau pôle de compétitivité SAFE Cluster, né de la fusion des pôles Pégase et Risques :
- Le LCA60T (dirigeable de 140 m ayant une capacité d’emport de 60 tonnes à la vitesse de 100 km/h) de Flying Whales ;
- L’Aerolifter d’Airstar (dirigeable filoguidé d’une capacité de 2 tonnes) ;
- Le Stratobus de Thales Alenia Space (dirigeable dédié à l’ISR, emportant 250 kg).
Les constructeurs anglo-saxons HAV et Lockheed Martin ont bâti leurs projets à partir de démonstrateurs destinés à un usage militaire. Outre une conception initiale qui a déjà au minimum 10 ans, l’Airlander 10 (HAV) et le LMH-1 (Lockheed Martin) doivent encore faire l’objet de modifications pour s’ajuster à des demandes commerciales civiles. Le LMH-1 devrait achever d’ici 2020 le processus de certification de vol, ce qui lui permettrait d’être le premier LCA disponible sur le marché à cet horizon. 24 appareils ont fait l’objet d’intention d’achat, mais aucune commande ferme n’a été passée.
Par opposition, l’approche des deux constructeurs français Voliris (concepteur du NATAC - Navette de Transport Automatique de Containers) et Flying Whales (LCA-60t) repose pour chacun d’eux sur un usage précis : le transport de fret par container dans des zones difficiles d’accès pour le premier, et l’exploitation forestière pour le second. Flying Whales a la particularité de conduire à cet effet une démarche industrielle (faisabilité économique, faisabilité technique, définition et dimensionnement des sous-systèmes, création d’un consortium d’ingénierie avec une trentaine de partenaires, etc.) avec une équipe d’une quarantaine de salariés. Et l’actionnariat de Flying Whales s’est engagé sur un investissement de 90 millions d’euros, et se compose notamment de ses deux principaux clients (dont l’ONF), ce qui constitue un gage de pérennité du projet.
Conclusion
Les cinq prochaines années feront sans doute figure de test pour l’avenir du dirigeable charge lourde. L’intérêt pour cette filière est périodique, et n’a débouché au final que sur une trentaine de dirigeables légers (hors Intelligence, Surveillance et Renseignement) en service dans le monde, principalement pour la communication, la publicité ou le tourisme. La convergence constatée aujourd’hui entre quatre facteurs (une demande identifiée pour des dirigeables charges lourdes, un financement entre autres par des clients potentiels, un fort soutien politique à la filière aérostatique, et une commercialisation à un horizon court) donne une crédibilité inédite à cette gamme d’aérostats, et à des usages militaires potentiels.