Missiles hypersoniques : le cas du Kh-47M2 Kinjal

L’emploi du missile Kinjal par les forces russes en mars 2022 contre des cibles au sol ukrainiennes a été décrit par de nombreux observateurs comme la première utilisation opérationnelle d’un missile dit « hypersonique ». Cette affirmation doit toutefois être nuancée, car si le Kinjal a bien certaines caractéristiques qui le rapprochent d’une arme hypersonique, sa technologie est différente des systèmes répondant classiquement à cette définition.

Quelle est la genèse du Kinjal et en quoi consiste-t-il ?

Le Kh-47M2, plus connu sous la désignation de KinjalLe Kinjal porte également d’autres désignations : 9-A-7660 Dagger pour le système, 9-S-7760 pour le missile, ou encore « Produit 292 ». La translittération française est utilisée ici, la translittération anglo-saxonne étant Kinzhal.  , est un missile aéro-balistique dérivé du missile sol-sol SS-26 (désignation OTAN) Iskander-M (9M723). Le missile est tiré depuis un avion et, après son largage, adopterait soit une trajectoire balistique, c’est-à-dire une trajectoire qui sort de l’atmosphère, ou, alternativement, une trajectoire quasi-balistique, c’est-à-dire une trajectoire en atmosphère. Un missile quasi-balistique a un apogée situé en atmosphèreCette altitude est variable. Les essais nord-coréens sur le missile quasi-balistique KN-23 montrent qu’en fonction de la trajectoire recherchée, la portée et la vitesse, les apogées peuvent dépasser 50 km ou, au contraire, n’atteindre que 35 à 40 km.  et entame ensuite une lente descente vers son objectif. Un vol quasi-balistique permettrait à l’engin de garder une capacité de manœuvre sur la majeure partie de sa trajectoire, généralement par appuis aérodynamiques. En configuration balistique, il ne retrouvera une capacité de manœuvre que lors de la phase de rentrée.

Le concept du missile aérobalistique n’est pas nouveau : les Etats-Unis avaient déjà étudié un missile balistique aérolargué à la fin des années 1950 (missile Skybolt), projet qui avait pris fin en 1962 du fait de la modernisation des missiles balistiques et du déploiement des premiers systèmes lancés de sous-marins. Historiquement ont également été classés comme missiles aérobalistiques les missiles de masse approchante de celle d’un petit missile balistique opérant exclusivement en atmosphère, notamment l’AGM-69 SRAM (Short Range Attack Missile) américain, conçu pour opérer à basse altitude, mais aussi le Kh-15 soviétique (AS-16), mis à poste à haute altitude et atteignant des vitesses terminales proches de 1,5 km/s (Mach 5)Toutes les vitesses indiquées dans cette note seront exprimées en km/s, avec éventuellement la correspondance en Mach. La vitesse du son retenue ici est de 0,3 km/s, soit la vitesse du son à 30 km d’altitude. . Cette vitesse est traditionnellement retenue pour qualifier les engins hypersoniques (voir infra).

Les premières études de conception du Kinjal auraient débuté vers la fin des années 1990 ou au début des années 2000, avec une phase de développement se déroulant vraisemblablement entre 2012 et 2020. Le maître d’œuvre industriel est la société russe KBM (KB de Construction de Machines, situé à Kolomna), déjà maître d’œuvre de l’Iskander, en association avec la société RSC MiG pour le porteur. Actuellement, le missile est monté sur le MiG-31K, mais il est question de l’adapter au bombardier Tu-22M3 ainsi qu’éventuellement au bombardier stratégique Tu-160.

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Le missile Kinjal sur un MiG-31K (crédit http://kremlin.ru)

Les essais en vol sur MiG-31K auraient commencé en décembre 2017. L’existence du Kinjal a été révélée officiellement par Vladimir Poutine dans son discours du 1er mars 2018, discours au cours duquel il avait présenté six nouveaux systèmes d’armes, dont le Kinjal.

Le Kinjal est un missile balistique mono-étage à propulsion solide. Il reprend sans doute l’étage propulsif du SS-26 Iskander-M mais présente néanmoins des différences au niveau de l’ensemble arrière et de la forme de la tête, sans doute pour optimiser les caractéristiques aérodynamiques, en particulier lors de l’emport sous avion. Sa longueur totale est estimée entre 7,70 m et 8 m, pour un diamètre de 0,92 m. Sa masse est supérieure à 4 t (celle de l’Iskander-M est de 4,6 t), pour une charge utile sans doute comprise entre 500 et 700 kg. La tête n’est pas séparée, ce qui fait que le missile reste entier jusqu’à l’impact. Il est équipé d’un système de guidage inertiel avec un recalage satellitaire (Glonass). Il dispose aussi, sans doute, d’un système de guidage terminal électro-optique et/ou radar qui lui confère une précision théorique qui pourrait osciller entre quelques mètres et quelques dizaines de mètres, en fonction du mode de guidage.

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Kinjal (en haut) et un Iskander-M (en bas). Noter l’ajout d’une jupe arrière qui est séparée de l’engin peu après le largage de l’avion porteur, juste avant l’allumage de l’étage propulsif.

Quels sont les avantages de ces choix technologiques ?

Adapter un missile balistique pour le lancer depuis un avion présente plusieurs avantages.

Le premier est le gain de portée obtenu. Sachant que l’Iskander-M est un mono-étage de 500 km de portéeLa portée réelle de l’Iskander-M reste toutefois discutée. Il est supposé que le missile atteint 500 km avec une charge utile de 700 kg, mais que la portée pourrait atteindre 100 à 200 km de plus avec une charge de 480 kg, utilisée sur la version export de l’Iskander-M (voir Stefan Forss, The Russian Operational-Tactical Iskander Missile System, National Defence University, Department of Strategic and Defence Studies, Series 4, Working Paper n° 42, Helsinki, 2012)., allumer l’étage propulsif du Kinjal à une altitude de 15 à 20 km équivaut à avoir un missile bi-étage tiré du sol. En effet, le premier étage de ce type d’engin fonctionne généralement jusqu’à une altitude à peu près du même ordre. Sur l’Iskander-M, il est estimé que la phase propulsée dure 25 secondes et qu’elle se termine à une altitude d’environ 15 kmDonnées reprises de Ibid.. En choisissant le MiG-31K comme plateforme d’emport, les Russes ont opté pour un appareil spécifiquement défini pour le vol à très haute altitude, alors que la masse du Kinjal représente approximativement la moitié de la charge utile maximale de l’appareil. On peut donc supposer que l’altitude de largage du missile est relativement élevée et pourrait se situer entre 10 km et 15 km. Dans la meilleure des hypothèses, le Kinjal initierait alors sa phase propulsée à l’altitude où l’Iskander achève ordinairement la sienne, lui donnant des caractéristiques de portée, de vitesse, de trajectoire et de manœuvre très supérieures.

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Largage du Kinjal depuis un MiG-31K (crédit : vidéo du ministère russe de la Défense)

Un autre avantage est de pouvoir bénéficier de la mobilité de l’avion porteur ainsi que de son rayon d’action, ce qui confère au système ainsi obtenu une plus grande souplesse d’utilisation (choix des trajets par rapport aux défenses, éventuellement adaptation des trajectoires). D’autre part, le Kinjal capitalise sur les développements accomplis sur le SS-26, à travers des solutions technologiques éprouvées, ce qui lui offre un niveau de fiabilité potentiellement élevé.

En termes d’effets militaires, il n’est pas certain que le Kinjal soit fondamentalement différent de l’Iskander-M, même s’il est probable que son rapport portée/vitesse, supérieur, permette d’envisager une meilleure optimisation de la vitesse terminale de missile en fonction de la cible traitée. Sur un plan plus général, sa charge utile, de l’ordre de 500 à 700 kg, associée à la masse inerte du missile et sa vitesse terminale devraient générer un effet destructif plus important que la majorité des systèmes d’arme air-sol actuels, soit plus lents (missiles de croisière longue portée, dont la majorité est subsonique), soit plus légers (missiles supersoniques, souvent de portée plus courte). C’est également le cas vis-à-vis des premières générations d’armes hypersoniques devant entrer en service, dont la charge utile est très inférieure.

Portée, vitesse et trajectoire du Kinjal : des éléments difficiles à apprécier

Une certaine confusion a pu régner quant à la portée du missile. De par l’association du Kinjal avec le porteur MiG-31K, un amalgame a parfois été fait entre le rayon d’action de l’avion porteur, la portée du missile Kinjal et la portée du système complet. La valeur de 2 000 km citée par le président Vladimir Poutine peut néanmoins servir de point de référence« The missile flies at hypersonic speed, 10 times greater than the speed of sound, it is maneuvering in all parts of the flight trajectory. This allows it to overcome all existing and, I think, future air-defense and missile-defense systems, delivering to the target nuclear and other warheads at a distance of more than 2,000 kilometers » (Presidential Address to the Federal Assembly, 1er mars 2018)..

Le rayon d’action du MiG-31 est donné pour 720 kmIl s’agit d’une valeur indicative, la version K ayant probablement été aménagée pour optimiser les performances de l’avion par le retrait d’équipements ordinairement emportés par les autres modèles.. Si l’on retient le chiffre de 2 000 km pour l’ensemble du système, la portée du Kinjal serait approximativement de 1 280 km. Une dépêche de l’agence TASS de février 2019 va d’ailleurs dans le même sens : elle indique que la portée du missile, mesurée lors d’essais en vol, est de 1 000 km« В Минобороны сообщили об успешных испытаниях ракеты ‘Кинжал’ в сложных метеоусловиях » [Le ministère de la Défense a fait état de tests réussis du missile ‘Kinjal’ dans des conditions météorologiques difficiles], TASS, 20 février 2019..

Cette estimation doit toutefois être mise en perspective, en fonction de la vitesse probable du Kinjal en fin de phase propulsée (portée et vitesse étant étroitement dépendantes), mais également en fonction de la trajectoire. Etant dérivé de l’Iskander-M, il est probable qu’il emporte la même masse de propergol. Avec sa charge utile la plus lourde, la vitesse en fin de phase propulsée de l’Iskander-M est estimée à 2 km/s pour une altitude de 12 à 15 kmStefan Forss, op.cit. . Si l’on admet que le Kinjal est mis à poste autour de 12 km d’altitude, la mise à feu du missile est réalisée dans les couches moins denses de l’atmosphère. D’autre part, le missile peut être tiré sur une pente faible, permettant là encore un gain de vitesse. S’ajoute enfin la vitesse de la plateforme d’emport. Si le missile est largué à une vitesse un peu inférieure à Mach 1 (0,3 km/s), il est probable que la vitesse du missile en fin de phase propulsée soit supérieure à 2,5 km/s. Dans sa description du Kinjal, en 2018, Vladimir Poutine affirme que le système atteint Mach 10 – soit 3 km/s –, valeur qui reflète certainement la réalitéPresidential Address to the Federal Assembly, op. cit. .

On notera que le président russe précise que le missile peut manœuvrer sur l’ensemble de sa trajectoire. Mais il reste à déterminer si la trajectoire sort de l’atmosphère et suit un vol balistique, si elle reste endo-atmosphérique et si le missile est capable d’adopter les deux types de trajectoires. Aucune information n’étant disponible, il n’est possible que de proposer une évaluation.  

La description faite par le chef de l’Etat russe correspond à l’une des caractéristiques de l’Iskander-M, qui est capable de réaliser sa trajectoire en atmosphère avec un apogée d’environ 50 km, descendant ensuite progressivement jusqu’à son objectif. A ces altitudes, le missile ne peut être intercepté ni par les intercepteurs exo-atmosphériques (type SM-3), ni même par les intercepteurs haut endo-atmosphériques (type THAAD), réduisant la menace aux seuls intercepteurs bas endo-atmosphériques. L’apogée du missile se situant dans les couches plus denses de l’atmosphère, il dispose d’une capacité de manœuvre par appuis aérodynamiques sur l’ensemble de sa trajectoire, manœuvre qui visera à empêcher les senseurs associés aux intercepteurs de définir une solution de tir viable. En phase terminale, le missile peut procéder à des manœuvres plus violentes, accentuant les contraintes pesant sur le système d’interception.

Il est toutefois possible que le Kinjal puisse également adopter une trajectoire balistique. Si sa trajectoire sort de l’atmosphère et s’il dispose d’une capacité de manœuvre sur sa trajectoire, cela implique qu’il est doté de moteurs de contrôle d’attitude. Mais de tels dispositifs ne sont pas visibles sur les images disponibles. Dans ce cas, le missile ne retrouverait une capacité de manœuvre qu’après la rentrée atmosphérique. L’apogée du Kinjal en trajectoire balistique n’étant pas connue, il est difficile de dire dans quelle mesure il serait exposé aux intercepteurs exo-atmosphériques de type SM-3 (plus l’apogée est bas, moins il serait exposé) mais il demeurerait vulnérable aux intercepteurs bas exo-atmosphériques / haut endo-atmosphériques de type THAAD.

En l’absence de données précises, on ne peut pas évaluer si la portée maximale ne peut être atteinte que par une trajectoire balistique ou si elle peut l’être sur une trajectoire quasi-balistique. En effet, le vol en atmosphère génère une traînée qui réduit la vitesse du missile et diminue sa portée. Toutefois, les essais du KN-23 nord-coréen, très proche du SS-26, montrent qu’une extension de portée non négligeable peut être obtenue en condition de vol quasi-balistique par un rebond sur les couches denses de l’atmosphère. Il ne peut donc être tiré de conclusions définitives pour le Kinjal, en l’état des données disponibles.

La différence entre vol balistique et vol quasi-balistique n’est nullement négligeable. Au-delà de la portée, la possibilité de faire réaliser une partie du vol en exo-atmosphère et en haute atmosphère ou de privilégier des trajectoires en atmosphère permet en effet de traiter différemment les défenses antimissiles et d’optimiser la capacité de survie du missile. Sur certains théâtres, les défenses combinent deux à trois types d’intercepteurs (exo-atmosphériques, haut endo-atmosphériques et bas endo-atmosphériques), générant des vulnérabilités réelles. D’autre part, pouvoir garantir la capacité à traverser les défenses est crucial si le missile est utilisé dans le cadre de la dissuasion nucléaire, ce qui semble être le cas d’après les dires du président russe.

Typologie des missiles hypersoniques et place du Kinjal

Pour situer et catégoriser le Kinjal, il convient de rappeler tout d’abord ce que l’on entend par « missile hypersonique ».

Les missiles hypersoniques se définissent comme des engins réalisant la majeure partie de leur trajectoire dans l’atmosphère à des vitesses supérieures à Mach 5, soit plus de 1,5 km/s. Le « missile hypersonique » se distingue ainsi du missile purement balistique, qui opère la majorité de son vol hors de l’atmosphère, à des vitesses systématiquement supérieures à 1,5 km/s pour les engins dont la portée dépasse 300 kmLa vitesse en fin de phase propulsée d’un missile balistique de 300 km est de 1,6 km/s. C’est le cas par exemple du Scud B.. La notion d’hypersonique a jusqu’à présent recouvré des choix technologiques en matière de propulsion et de trajectoire qui ont conduit à distinguer deux grandes classes de systèmes dits « hypersoniques » : les missiles de croisière hypersoniques et les planeurs hypersoniques.

Les missiles de croisière hypersoniques

D’une manière générale, les missiles de croisière sont des missiles propulsés pendant toute leur trajectoire. Ils sont dits hypersoniques lorsque leur vitesse maximale dépasse 1,5 km/s. La meilleure manière d’arriver à ce niveau de performance est actuellement de disposer d’un type de propulsion par « super-statoréacteur ». Les vitesses recherchées s’échelonnent pour le moment entre 1,5 et 2,6 km/s, soit Mach 5 à Mach 8. Elles sont atteignables à des altitudes comprises entre 20 et 35 km, ce qui permet à l’engin de manœuvrer sur l’ensemble de la trajectoire.  

Le super-statoréacteur est un type de propulsion aérobie, c’est-à-dire que l’air fait fonction de comburant. La vitesse d’écoulement de l’air vers la chambre de combustion se fait à une vitesse supersonique, ce qui génère des contraintes spécifiques autour de la pointe avant de l’engin (onde de choc), dans la compression de l’air en avant de l’entrée d’air, dans l’écoulement de l’air vers la chambre de combustion et dans la combustion elle-même. L’une des plus grandes difficultés liées au fonctionnement du super-statoréacteur est de réaliser la combustion de l’air et du comburant à des vitesses supersoniques et de gérer les contraintes thermiques résultantes dans la chambre de combustionA 1,8 km/s, la température moyenne de la chambre de combustion atteint 1 300°C et atteindrait plus de 4 500°C à 4 km/s.. L’intégrité structurelle de cette dernière ne peut être maintenue que sur une période relativement courte – de nos jours de l’ordre de quelques minutes mais susceptible de s’allonger grâce au développement de matériaux adaptés.

Ces difficultés expliquent que les missiles propulsés par super-statoréacteurs sont encore largement en phase de développement. A ce jour, l’engin le plus proche du déploiement opérationnel est le missile Zyrkon, développé par la Russie.

Les portées de ces systèmes se situent autour de 500 à 1 000 km et devraient progressivement s’accroître.

Les planeurs hypersoniques

La seconde grande famille des engins hypersoniques est celle des planeurs hypersoniques, qui sont des têtes militaires mises à poste approximativement vers 100 à 120 km d’altitude par soit un vecteur dérivé d’un lanceur spatial, soit un missile balistiqueDes altitudes de mise à poste plus élevées doivent toutefois être envisagées, notamment pour les planeurs opérant sur des portées très longues.. La tête est injectée de manière à revenir rapidement dans l’atmosphère, où sa vitesse acquise lui permet ensuite de « planer » par une série de rebonds sur les couches de l’atmosphère. Ce type de tête dispose également d’une capacité de déport latéral. Bien que les rebonds provoquent une décélération, comme la plus grande partie de la trajectoire se situe en haute atmosphère, les planeurs gardent une bonne partie de l’énergie obtenue à la mise à poste, ce qui leur permet d’avoir des vitesses très élevées sur une grande portion de leur vol.

Vitesse et portée du planeur sont directement dépendantes du lanceur. Ainsi, un engin mis à poste par un missile balistique de type ICBMICBM pour InterContinental Ballistic Missile : missile balistique sol-sol de portée supérieure à 5 500 km., tel que l’Avangard russe déployé sur le missile intercontinental SS-19, pourrait avoir une vitesse d’injection supérieure à 7 km/s, une portée qui pourrait dépasser les 10 000 km, et disposerait, à la fin de sa trajectoire, d’une vitesse résiduelle encore importante. Des planeurs destinés à opérer sur des portées de l’ordre de 1 000 à 2 000 km associés à des lanceurs de type MRBMMRBM pour Medium Range Ballistic Missile : missile balistique sol-sol dont la portée est comprise entre 1 000 et 3 000 km., tel le DF-17 chinois, commencent à être déployés, alors que les États-Unis développent des engins volant sur des portées oscillant entre 1 500 et 3 000 km.

Lorsqu’ils atteignent les couches plus denses de l’atmosphère, les appuis aérodynamiques du planeur sont suffisants pour lui permettre de rebondir, puis, au fur et à mesure que l’altitude décroît, de manœuvrer en modifiant sa trajectoire et/ou sa direction. Cette capacité de manœuvre, réalisée à des altitudes hautes et des vitesses élevées, complique fortement toute tentative d’interception. La manœuvre rend également non prévisible la cible potentielle.

Les planeurs représentent actuellement la technologie hypersonique la mieux maîtrisée, notamment parce que celle-ci dérive en partie des travaux menés depuis de nombreuses années sur les ogives manœuvrantes. Toutefois, leur développement reste complexe, du fait des effets aérothermiques générés par les très hautes vitesses et des contraintes de navigation et de guidage.

A quelle catégorie appartient le Kinjal ?

Le Kinjal n’appartient à aucune des deux catégories ci-dessus, en raison de sa technologie de propulsion et de ses spécificités Toutefois, dans l’hypothèse assez probable où il pourrait adopter des trajectoires quasi-balistiques, il s’agirait bien d’une arme hypersonique au sens propre de la définition usuelle, sa trajectoire étant réalisée à des vitesses qui restent supérieures à 1,5 km/s sur une partie substantielle de la trajectoire en atmosphère et le système ayant une véritable capacité de manœuvre. Dans l’hypothèse, également possible, où le missile pourrait réaliser une phase purement balistique, il ne pourrait être assimilé à un planeur, puisque réalisant l’essentiel de sa trajectoire dans l’espace, mais n’en resterait pas moins un système très particulier : aucun missile air-sol existant ne permet de combiner les deux types de trajectoires.

Quel bilan peut-on tirer à ce jour ?

Le choix de technologies éprouvées et l’efficacité du système laissent déjà entrevoir que ce type d’arme a un avenir durable. Ainsi, la solution du missile aérobalistique a déjà été retenue par Israël et la Chine pour des systèmes d’armes certes différents dans leur mission mais fondés sur le même principe.

En même temps, cette solution n’offre pas que des avantages. Contrairement aux super-statoréacteurs, elle ne permet pas d’alléger significativement la masse et les dimensions du missile, limitant les gains de vitesse et de portée envisageables et impactant la capacité d’emport de la plateforme. Contrairement au planeur, elle ne permet pas d’envisager d’extension de vitesse à des niveaux hautement hypersoniques et, par voie de conséquence, de gains significatifs de portée, sauf à opter pour une solution permettant la mise à poste d’un planeur, comme cela est le cas pour l’AGM-183A américain, ou à retenir l’emport de missiles très lourds, comme cela pourrait être le cas pour le missile chinois CH-AS-X-13, actuellement en développement.

Les frappes réalisées en Ukraine par la Russie en mars 2022 ne permettent pas encore de tirer de conclusions précises sur la capacité de pénétration du système, les défenses antimissiles ukrainiennes étant inexistantes. Les distances de frappe mettent toutefois en évidence l’intérêt du Kinjal pour les opérations à bref préavis, la totalité de l’Ukraine pouvant être couverte par ce système d’arme et la combinaison de la vitesse du missile et du MiG-31K autorisant une boucle d’engagement très courte. Cette capacité permet de viser des cibles fugaces, c’est-à-dire identifiées comme présentes sur zone sur un temps très court, et plus généralement, tout type de ciblage d’opportunité.  

Certaines analyses ont également souligné l’impact politique de l’emploi du Kinjal, mettant en évidence non seulement le caractère opérationnel de l’arme mais également sa valeur symbolique, son usage signalant aux Ukrainiens comme aux Occidentaux que la Russie dispose d’une capacité de frappe globale sur l’ensemble du théâtre. Ce constat est indéniable et pourrait même avoir une portée supplémentaire si l’on considère que le missile a aussi une capacité nucléaire. Bien que les conditions politiques et militaires de l’emploi de l’arme nucléaire semblent encore bien loin d’être réunies, le Kinjal apparaît ici comme un élément de dissuasion très concret.

 

Crédit image : Dianov Boris/Shutterstock.com

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