La guerre en Ukraine engagée le 24 février 2022 a désormais des répercussions économiques dans un très grand nombre de secteurs, et le spatial n’échappe pas à cette règle. Dès le début du conflit, des mesures ont été annoncées qui auront des conséquences à court, moyen et long termes sur le transport spatial et les activités en orbite. Il est cependant trop tôt pour en déterminer l’ampleur. Ce premier bilan rapide tente de dresser un état des lieux des principaux programmes impactés par les décisions déjà prises, afin de mieux mesurer l’étendue du périmètre couvert.
L’Union européenne (UE) a rapidement décidé d’imposer des restrictions financières et technologiques à 64 structures de la Fédération de Russie, concernant en particulier des produits de haute technologie qui portent sur les communications, l’électronique, les semi-conducteurs et plus généralement l’aéronautique et le spatial.
Roscosmos a réagi en suspendant la coopération avec ses partenaires européens pour les lancements depuis le CSG à Kourou. Cependant, les lanceurs Soyouz tirés de Kourou ne sont pas les seuls impactés par les sanctions économiques, car plusieurs programmes majeurs font l’objet d’une coopération avec la Russie, mais aussi avec l’Ukraine.
Le lanceur Soyouz
Les liens tissés avec la Russie à travers le programme Soyouz remontent aux années 1990. Dans un premier temps, la société Starsem
Les conséquences sur les lancements Soyouz menés par Arianespace sont de différentes natures. Dmitri Rogozine, le directeur général de Roscosmos, a annoncé le 26 février que la coopération avec les partenaires européens sur les lancements depuis Kourou était suspendue
Jusqu’à présent, Arianespace assurait des lancements de Soyouz depuis trois centres spatiaux : Kourou, Baïkonour et, plus récemment, Vostotchny. Tel qu’on peut le comprendre à ce jour, l’état des vols prévus de Soyouz par Arianespace s’établit comme suit :
Date prévue |
Centre spatial |
Charge utile |
Situation |
Commentaires |
5 mars 2022 |
Baïkonour |
OneWeb |
Maintenu |
ST38 |
5 avril 2022 |
Kourou |
Galileo |
Suspendu |
VS28 |
Avril 2022 |
Baïkonour |
OneWeb |
NC |
ST39 BF7 (Baikonur Flight 7) 36 sats |
Mai 2022 |
Baïkonour |
OneWeb |
NC |
ST40 BF8 (Baikonur Flight 8) 36 sats |
Juin 2022 |
Baïkonour |
OneWeb |
NC |
ST41 BF9 (Baikonur Flight 9) 36 sats |
Juillet 2022 |
Baïkonour |
OneWeb |
NC |
ST42 BF10 (Baikonur Flight 10) 36 sats |
Août 2022 |
Baïkonour |
OneWeb |
NC |
ST43 BF11 (Baikonur Flight 11) 36 sats |
Septembre 2022 |
Kourou |
Galileo |
Suspendu |
VS29 |
Décembre 2022 |
Kourou |
CSO-3 |
Suspendu |
VS30 Satellite d’observation militaire français |
Février 2023 |
Kourou |
Euclid |
Suspendu |
VS31 Satellite ESA d’astronomie |
Mars 2023 |
Kourou |
EarthCARE |
Suspendu |
VS32 Satellite ESA JAXA pour l’étude du climat |
Mi-2023 |
Kourou |
Sentinel-1C |
Suspendu |
VS33 ou Ariane-62 ? |
NC = non communiqué
Le lanceur Vega
Ce lanceur, dont le premier vol remonte à 2012, est développé et produit par la société italienne Avio en coopération avec d’autres pays. Outre le premier étage P80, qui fait appel à la France, on peut identifier plusieurs thématiques qui s’appuient sur les technologies ukrainiennes et russes :
Le moteur de l’étage supérieur AVUM (Attitude and Vernier Upper Module). Cet étage est équipé d’un moteur bi-ergol ré-allumable dérivé du RD‑869 (désignation : VG143), qui assure l’injection de la charge utile et qui est fourni par l’entreprise ukrainienne Youjnoye après avoir été produit en série par Youjmash, ainsi que d’un système propulsif monergol pour le contrôle d’attitude et le pilotage en roulis (fourni par Aerojet)
Les quatre réservoirs de l’étage supérieur AVUM associés au moteur RD‑869/VG143, qui sont fabriqués par la société russe Babakine (localisée à Khimki dans la banlieue de Moscou), une des divisions de la NPO Lavotchkine. Il faut noter cependant qu’Ariane Group a également la capacité de produire ces réservoirs
Jusqu’à ce jour, on dénombre vingt lancements de Vega déjà effectués (avec trois échecs, dont un dû à un problème sur l’étage AVUM), et les prévisions connues s’établissent actuellement comme suit :
Date |
Charge utile |
Commentaires |
Mai 2022 |
LARES 2 |
Satellite ASI. Vol inaugural du nouveau Vega-C. VV21 |
Juillet-août 2022 |
Pléiades-Neo 5 et 6 |
VV22 |
Septembre 2022 |
Kompsat 7 |
Satellite KARI (Corée du sud) VV23 |
2022 |
THEOS 2 HR |
Satellite d’observation thaïlandais VV24 |
Q1 2023 |
SSMS |
Small Spacecraft Mission Service |
Août 2023 |
Biomass |
Satellite de l’ESA |
Q3 2023 |
Space Rider |
Flight 1 (véhicule expérimental) |
2023 |
CO3D 1, 2, 3 et 4 |
Satellites du CNES (résolution 50 cm) |
2023 |
LUXEOSys |
Satellite d’observation militaire luxembourgeois (ex-NAOS) |
2024 |
Sentinel-2C |
ESA Optique |
Q2 2024 |
SSMS |
Small Spacecraft Mission Service |
Octobre 2024 |
Sentinel-3C |
ESA océanologie |
2024 |
CSG CSG = Cosmo-Skymed 2ème génération. n°3
|
Satellite de l’ASI (imagerie radar) |
2024 |
Tandem-L |
Satellite DLR (interférométrie radar) |
2025 |
FLEX |
FLEX = Fluorescence Explorer. Lancement prévu avec |
Les satellites OneWeb
OneWeb est une société basée à Londres qui s’est lancée dans les télécoms par satellite à travers une constellation de 648 satellites de 147 kg chacun (1ère génération), placés en orbite basse à une altitude de 1 200 km. Treize lancements ont déjà été effectués à la date du 25 février 2022, sous forme de grappes de 34 et 36 satellites, totalisant ainsi 422 satellites opérationnels.
Après une première phase de fabrication de satellites prototypes menée à Toulouse par Airbus DS, les suivants sont produits en Floride par une joint-venture entre Airbus et OneWeb. Ces satellites sont dotés d’une propulsion électrique fournie par la société russe Fakel, ce qui permet aux satellites, après avoir été injectés à 500 km d’altitude, de rejoindre par eux-mêmes leur orbite finale. Fin 2021, Fakel annonçait avoir livré le 500ème moteur électrique pour OneWeb
En 2015, OneWeb a commandé à Arianespace et Virgin Galactic 21 lancements Soyouz ainsi que cinq autres en option dans le cadre d’un contrat de plus d’un milliard de dollars, pour déployer 672 satellites, sachant que ces satellites ont une durée de vie de sept ans au minimum
La Station Spatiale Internationale
La Station Spatiale Internationale (ISS) est habitée en permanence par un équipage qui se consacre à la recherche scientifique. Elle est développée et financée par les États-Unis, la Russie, l’Europe, le Japon et le Canada. Après son expérience acquise sur la Station Mir (lancée initialement en 1986 et assemblée jusqu’en 1996 puis détruite en 2001), la Russie est entrée dans le programme ISS en 1993. La station comprend de nombreux modules et sous-ensembles dont la partie russe, qui représente environ un quart de la masse totale, constitue un ensemble distinct, relié au reste de l’ISS par le module Unity de la NASA.
Alors qu’il était initialement prévu qu’elle reste opérationnelle jusqu’en 2016, son exploitation vient d’être prolongée jusqu’à 2030 par l’administration Biden. Elle servira notamment, pour les États-Unis, à développer la recherche et les technologies liées au retour sur la Lune à travers le programme Artemis.
A la fin 2021, 52 cosmonautes russes avaient déjà séjourné à bord de l’ISS et de nouvelles missions sont prévues, notamment : le vol Soyouz MS‑21 le 18 mars 2022 avec trois cosmonautes russes, le vaisseau Progress MS‑20 le 3 juin et la mission Soyouz MS‑22 le 21 septembre avec trois cosmonautes russes.
Toute la question est désormais de savoir quel sera l’avenir de ces activités internationales. Josef Aschbacher a ainsi indiqué : « I am sad and worried as the aggression continues to worsen in Ukraine. With ESA Member States, we will take any decisions needed. But for now, support for our missions and colleagues continues until further notice ». De son côté, Dmitri Rogozine a d’ores et déjà fait planer la menace de conséquences des sanctions contre la Russie, en laissant entendre le 25 février qu’une déorbitation non contrôlée de l’ISS pourrait avoir des effets dramatiques
Exomars
Exomars est un programme en deux parties, mené par l’ESA avec la participation de Roscosmos, et qui a pour but in fine de déterminer si la vie a existé sur Mars à travers l’étude de la présence de l’eau sur la planète et l’analyse de la composition des minéraux à sa surface. La Russie fournit la plate-forme Kazachok qui équipe l’atterrisseur ainsi qu’une partie de l’instrumentation scientifique, en contrepartie de la prise en charge des deux lancements par Proton.
La première partie, dite Exomars 2016, a consisté à lancer le 14 mars 2016 depuis Baïkonour une sonde appelée Orbiter TGO (Trace Gas Orbiter), qui s’est ensuite mise en orbite autour de Mars et dont l’atterrisseur a tenté, sans succès, de se poser le 19 octobre 2016.
La seconde partie doit permettre à un rover baptisé Rosalind Franklin de se poser sur Mars afin de mener un certain nombre d’expérimentations grâce à neuf instruments scientifiques placés à son bord, dont deux sont réalisés par l’Institut de recherche spatiale de l’Académie des Sciences de Moscou (IKI RAN) : ISEM, un spectromètre infra-rouge qui doit évaluer la composition des minéraux, et Adron, qui doit notamment permettre d’étudier la présence de l’eau en-dessous de la surface.
Le lancement de ce rover par un Proton est prévu depuis Baïkonour, et en raison de la mécanique céleste, il n’y a qu’une fenêtre de 10 jours, possible tous les 2 ans. Or, celle de 2020 a dû être repoussée en raison de la pandémie de Covid‑19, ce qui fait que la prochaine opportunité tombe entre le 20 septembre et le 1er octobre 2022.
Pour le moment, officiellement, le lancement n’est pas remis en question. La campagne de lancement doit débuter à Baïkonour en mars 2022 avec du personnel de l’ESA qui doit travailler sur l’intégration de la charge utile. Le directeur général de l’ESA, Josef Aschbacher, a d’ailleurs déclaré le 25 février qu’en dépit du conflit actuel, la coopération dans le spatial civil avec Roscosmos restait un pont qui permettait de continuer de travailler sur l’ISS et sur Exomars
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