Le Traité New Start : bilan et perspectives

Introduction

Le traité New Start est le sixième accord bilatéral de maîtrise des armements stratégiques. Comme tous ses prédécesseurs, il a pour but d’encadrer l’évolution des arsenaux (vecteurs) à des fins de prévisibilité et de stabilité, et sa comptabilité a recours à des unités fictives (« armes comptabilisées »). Il ne prévoit aucune destruction d’arme.

Le Traité a été signé en 2010 et est entré en vigueur en 2011. Les réductions prévues devaient être réalisées dans un délai de 7 ans, ce qui a été le cas, et le Traité reste en application pour 10 ans, ce qui porte son expiration à février 2021. Selon le texte du Traité, le New Start peut être étendu d’une durée maximale de 5 ans, une proposition qui aurait été faite par la Russie et qui serait à l’étude côté américain. L’extension dépend des deux côtés d’une simple décision présidentielle.

Plusieurs facteurs pourraient déterminer les choix effectués par les deux pays dans l’année qui vient. Quatre éléments peuvent être particulièrement soulignés :

  • La stabilité stratégique. Il s’agit de l’intérêt d’imposer des contraintes (visibilité, limites) à un compétiteur stratégique. Cet élément dépend de l’état des forces et des arsenaux mais également de la perception de la menaceEmmanuelle Maitre, « L’arms control en question : Au-delà de New Start », Présentation, Conférence « La fin de l’Arms Control », FRS, Bibliothèque nationale de France, 14 mai 2019..
  • La dimension politique interne. Ce facteur ne devrait pas être un problème majeur du côté russe. L’intérêt budgétaire à limiter quantitativement l’expansion des arsenaux pourrait inciter à une extension. Il est en revanche complexe côté américain : la ratification du Traité en 2010 s’était faite au prix d’un compromis avec le Congrès sur un programme ambitieux de renouvellement de la « triade ». Aujourd’hui, la présidence Trump peut avoir un intérêt politique à laisser expirer le Traité ne serait-ce que pour marquer sa rupture avec la présidence Obama. Le Congrès comprend un large groupe d’élus sceptiques voire hostiles à la maîtrise des armements, pour des raisons profondes ou en réaction aux violations russes. Mais certains Républicains et l’essentiel des Démocrates, majoritaires à la Chambre, soutiennent le Traité et souhaitent que le compromis de 2010 soit respecté.
  • La relation bilatérale. Ce facteur est difficile à anticiper notamment au vu des atermoiements américains sur la politique russe. Néanmoins l’idée d’un accord sur l’extension du New Start visant à améliorer les relations stratégiques entre les deux pays semble peu convaincante à l’heure actuelle. En revanche, certains experts mettent en avant le raisonnement inverse, issu de la Guerre froide : en des temps de relations officielles limitées et de tensions, la maîtrise des armements peut être un élément de dialogue et de compréhension mutuels.
  • La politique de non-prolifération. La signature du Traité avait été présentée comme un progrès majeur réalisé dans la mise en œuvre de l’article VI du TNP dans la continuité des grands accords de réduction des arsenaux stratégiques hérités de la Guerre froide. Sa disparition serait un signal négatif quant à la crédibilité du processus de désarmement par étape vanté par les États nucléaires et leurs alliés. Néanmoins, dans le contexte actuel, ce facteur risque de peu jouer : la Russie est assez insensible à la pression internationale dans ce domaine, et les États-Unis ne semblent pas pouvoir sous le gouvernement actuel redorer leur blason après la sortie du JCPOA et la fin du Traité FNI. Néanmoins, des pays ont estimé à la PrepCom 2019 que ce serait un minimum à atteindre d’ici à la prochaine conférence d’examen. Par ailleurs, la fin du New Start créerait une nouvelle source de désaccord au sein de l’OTAN, car la majorité des alliés européens soutiennent officiellement la prorogation du Traité.

Le Traité New Start après 10 ans

Le dernier grand accord bilatéral de maîtrise des armements

Le Traité a été signé le 8 avril 2010. Il a remplacé le traité START‑1, qui avait expiré le 5 avril 2009, et rendu caduc le traité SORT (Strategic Offensive Reductions Treaty) de 2002, qui expirait en 2012.

Après un débat vigoureux, le Sénat américain a donné son autorisation de ratification le 22 décembre 2010 (par 76 voix contre 26) ; le Parlement russe, les 25 et 26 janvier 2011. Le Traité est entré en vigueur le 5 février 2011, après échange des instruments de ratification.

Le Traité donnait sept ans aux parties pour se mettre en conformité avec ses dispositions. Ce fut le cas au 5 février 2018.

D’une durée prévue de dix ans, il peut en vertu de son Article XIV être prolongé, d’année en année, pour une durée additionnelle maximale de cinq ans (soit jusqu’au 5 février 2026). Il s’agit d’un traité très détaillé (plusieurs centaines de pages), mais qui laisse une latitude assez importante aux deux parties quant à la manière exacte – composition des forces – de s’y conformer.

Ses dispositions de transparence sont remarquables : il exige par exemple de chaque partie de notifier tout mouvement de lanceur depuis ou vers les bases opérationnelles.

Une mise en œuvre sans heurts malgré quelques incertitudes

Si prompts, parfois – notamment du côté du Congrès et des think-tanks d’obédience républicaine – à soupçonner la Russie de violer les accords de maîtrise des armements, les États-Unis n’ont jamais soulevé publiquement de questions relatives au respect du Traité et ont constamment jugé que Moscou « respectait » (complied with) ce dernier. Seules des questions de « mise en œuvre » auraient été soulevées. De son côté, Moscou elle aussi a soulevé des questions relatives à la mise en œuvre du Traité, notamment sur les procédures de conversion de lanceurs et de bombardiers B‑52.

Les deux parties ont procédé chaque année aux notifications et 18 inspections de type 1 (10) et de type 2 (8) permises par le Traité ont été réalisées. Plus de 20 000 notifications ont été échangées via les Nuclear Risk Reduction Centers de Moscou et Washington. 

Structuration des arsenaux au format New Start

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(2) New START Treaty Aggregate Numbers of Strategic Offensive Arms, Fact Sheet, US Department of State, 1er juin 2011.(3)

(3) New START Treaty Aggregate Numbers of Strategic Offensive Arms, Fact Sheet, US Department of State, 1er janvier 2020.

À noter que New Start a eu pour effet de faire passer la Russie au « premier rang » en termes de nombre d’armes comptabilisées (3), et de resserrer significativement l’écart entre les deux pays dans les deux catégories de porteurs et de lanceurs (1) et (2).

Perspectives

La position russe

Depuis la fin du traité FNI, la Russie soutient plus clairement l’extension de New Start et se dit prête à discuter des termes d’un nouvel accord.

Le 2 février 2019, le Président Poutine a réuni ses ministres des Affaires étrangères et de la Défense pour évoquer les implications de l’annonce de la Maison Blanche, faite la veille, relative au traité FNI. À cette occasion, il s’est déclaré ouvert à des négociations sur l’arms control, mais aurait donné ordre de ne pas initier de telles négociations. Cette posture apparaît assez cohérente avec l’avis majoritaire, dans les milieux d’expertise russes, selon lequel la fin du FNI compromet fortement la reconduction du traité New Start en 2021. Les spécialistes russes s’accordent également à souligner que l’échange d’accusations entre Russes et Américains sur les violations du traité FNI et le non-respect de New Start forme un contexte défavorable à la négociation de nouveaux accords.

Certes, des experts russes expriment de l’inquiétude quant à l’érosion progressive de la structure héritée de la Guerre froide, avec des pronostics très sombres sur ses conséquences, y compris pour la relation militaire et stratégique entre les États-Unis et la Russie, dont l’arms control demeure la colonne vertébrale. Mais l’institution militaire, en particulier, qui a gagné en confiance et en influence dans les processus décisionnels, peut être intéressée par le fait d’avoir les mains plus libres et par l’instauration d’un environnement lui permettant de cultiver plus encore l’ambiguïté sur ses capacités.

Moscou a aussi probablement conclu que ses positions exigeantes sur les conditions de la poursuite du désarmement (elle prône depuis des années une approche « intégrée » impliquant, au-delà des armements nucléaires stratégiques offensifs, les défenses antimissiles, les armements conventionnels stratégiques, ainsi que la multilatéralisation des négociations) n’avaient plus guère de chances d’aboutir dans un contexte politico-stratégique bilatéral dont elle juge qu’il est appelé au mieux à persister dans son actuel état de tension, au pire à se dégrader plus avant.

Dans cette perspective, le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergeï Riabkov a expliqué que la Russie était favorable à la prolongation du New Start dans la mesure où elle pourrait permettre de gagner du temps pour étudier des approches possibles sur de nouveaux types d’armements – existants ou en développement« Deputy Foreign Minister Sergey Ryabkov’s interview with Kommersant », March 5, 2020, Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation, 6 mars 2020.. Cette position a été régulièrement reprise dans la presse et dans des allocutions publiques de divers représentants officiels.

Cette posture assez active vise certainement à attirer l’attention, par effet de miroir, sur au mieux l’indifférence, au pire l’irresponsabilité de l’administration américaine sur un enjeu auquel restent sensibles de nombreux décideurs et experts aux États-Unis et en EuropeIsabelle Facon, « Quel intérêt de Moscou pour la poursuite de l’arms control ? Éléments du débat russe », Bulletin n°65, Observatoire de la Dissuasion, mai 2019..

À ce sujet, différents thèmes reviennent fréquemment dans le débat d’expertise, allant dans le sens d’une évolution possible des approches russes en matière d’arms control vers plus de réalisme et de pragmatisme (ce qui permet sans doute, aussi, de gagner l’adhésion des militaires et des industriels de l’armement). Le besoin de renoncer au format traditionnel d’accords juridiquement contraignants est ainsi évoqué – un avis qui fait référence, parmi les options alternatives, aux Presidential Nuclear Initiatives de 1991-92 ainsi qu’au JCPOA.

La préférence russe pour le maintien de New Start et, plus largement, pour celui de la maîtrise des armements stratégiques s’explique pour trois raisons. Un monde dans lequel la maîtrise bilatérale des armements nucléaires n’existerait plus serait pour Moscou un monde dans lequel la Russie (i) ne serait plus « l’égale » des États-Unis, (ii) réduirait la stabilité stratégique, (iii) pourrait provoquer une course aux armements qui ne serait pas dans ses moyensKristin Ven Bruusgaard, « Russia killed arms control. Why does it want to keep New START? », Bulletin of Atomic Scientists, 5 février 2020. .

Moscou se dit ouverte à des conversations englobant l’ensemble des paramètres de la stabilité stratégique : arsenalisation de l’espace, missiles hypersoniques, moyens conventionnels stratégiques, etc.« Russia open for talks with US on hypersonic weapons — top diplomat », Tass, 14 avril 2020.

La position américaine

 L’administration

La Nuclear Posture Review de février 2018 avait confirmé que les États-Unis continueraient de mettre en œuvre le Traité au moins jusqu’en 2021, mais restait silencieuse sur ses perspectives de prolongation.

Depuis lors, les responsables de l’administration sont généralement restés prudents sur ce point dans leurs déclarations publiques et leurs auditions parlementaires, préférant évoquer la perspective et les conditions d’un nouvel accordThe New START Treaty: Central Limits and Key Provisions, Congressional Research Service, 2 avril 2020. . À ce stade, la Maison blanche souscrit au principe édicté dans la loi sur le budget de la défense pour 2020 et qui dispose : « Le Congrès estime que des limites juridiquement contraignantes et vérifiables apportées aux forces stratégiques russes servent les intérêts nationaux de sécurité des États-Unis »National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2020, signé le 20 décembre 2019 par le président Trump..

En mars 2020, M. Chris Ford (Département d’État), le principal responsable administratif concerné, restait vague, en soulignant l’importance des nouveaux vecteurs développés par la Russie et l’importance de son arsenal non-stratégique. Il confirmait la très grande importance accordée par l’administration à l’inclusion de la Chine dans le processus et les limites d’une conversation stratégique qui ne prendrait que les deux grands acteurs en compte. De ce fait, l’extension de la durée de validité du Traité semblait pour lui subordonnée à l’idée de progrès dans cette voie« Briefing With Senior State Department Official On the New START », US Department of State, 9 mars 2020..

Dans les semaines qui ont suivi, l’administration consolidait encore un peu plus et précisait que « tout nouvel accord devrait inclure la Chine »Jonathan Landay, « Pompeo tells Russia’s Lavrov any new arms control talks must include China », Reuters, 17 avril 2020. .

 Le Congrès

La position des Républicains au Congrès est encore plus dure. Ainsi, en novembre 2018, 25 sénateurs républicains, menés par Ted Cruz (R-TX) et John Kyl (R-AZ), avaient fait publier une lettre à destination de Donald Trump lui demandant de prendre en considération, avant toute extension, la nécessité de moderniser l’arsenal américain, la disparité des arsenaux non-stratégiques, le non-respect par la Russie d’un certain nombre d’autres accords de maîtrise des armements, et la non-inclusion de la Chine.

Par ailleurs, deux lois ont été introduites au Congrès pour limiter les possibilités d’étendre le New Start. (1) Le Stopping Russian Nuclear Aggression Act, soutenu fin novembre 2018 par Tom Cotton (R-AR) au Sénat et Liz Cheney (R-WY) à la Chambre. Ce texte menace de ne plus financer la mise en œuvre du Traité si le gouvernement ne garantit pas que le maintenir au-delà de 2021 est dans l’intérêt des États-Unis. Il exige aussi que les nouveaux moyens russes soient couverts par le texte et que la Russie et les États-Unis aient lancé des discussions pour remédier à la disparité dans les arsenaux non-stratégiques. (2) Le New START Treaty Improvement Act, introduit dans les deux chambres par les mêmes élus, le 14 mai 2019. Cette proposition de loi prévoit également d’empêcher le financement du New Start au-delà de 2021 si la Chine ne fait pas partie de l’accord et si celui-ci n’inclut pas « l’ensemble des forces stratégiques et non-stratégiques russes ».

Néanmoins, certains Républicains et l’essentiel des Démocrates, majoritaires à la Chambre, souhaitent préserver des limites quantitatives sur les arsenaux, et ont récemment rappelé le compromis de 2010. Ainsi, le sénateur Bob Menendez (D- NJ) a vivement interpellé Andrea Thompson, sous-secrétaire d’État à la maîtrise des armements et à la sécurité internationale, à ce sujet le 15 mai 2019. Plusieurs propositions de loi ont été introduites, soutenant cette fois la prolongation du Traité. (1) Le SAVE Act, proposé par Ed Markey (D-MA) au Sénat le 2 mai 2019, exigerait des services de renseignement et de l’administration en cas de non-extension l’assurance que cette décision ne compromet pas la sécurité américaine et n’engendre pas de perte d’information sur l’arsenal russe. Il interdirait également de produire des vecteurs au-delà des plafonds du New Start sauf en réponse à une augmentation manifeste des arsenaux stratégiques russes. (2) Le New START Policy Act of 2019, soutenu par Bob Menendez également, qui déclare que la politique des États-Unis est d’étendre l’accord, sauf en cas de violation russe, et qui réclame des rapports du Directeur du Renseignement et du Secrétaire à la Défense en cas de non-respect. (3) Le Richard G. Lugar and Ellen O. Tauscher Act to Maintain Limits on Russian Nuclear Forces, présenté le 5 mai 2019 par le représentant Eliot Engel (D-NY), reprend des termes similaires.

Dans ce cadre, des résolutions concurrentes ont également été présentées par des Démocrates à la Chambre et au Congrès appelant à la préservation du Traité. Quelques Républicains ont également sponsorisé ces textes, alors qu’un courrier signé par 24 sénateurs démocrates a appelé le Président Trump à l’extension du TraitéEmmanuelle Maitre, « Extension du New Start : vers un vif débat au Congrès ? », Bulletin n°65, Observatoire de la dissuasion, mai 2019..

À noter que l’ensemble des candidats démocrates aux primaires de l’élection présidentielle prévue en novembre 2020 jugeait impératif de renouveler le traité New Start avec la Russie en 2021, tant que les deux pays respectent leurs engagementsCamille Barbit et Emmanuelle Maitre, « Le nucléaire dans la campagne électorale américaine », Bulletin n°72, Observatoire de la dissuasion, février 2020.. Y compris, bien sûr, M. Joseph Biden.

Une vision sous l’angle militaire

Une étude récente et particulièrement signalée de l’ancien administrateur de la NNSA Frank Klotz prend position dans cette analyse en faveur de l’extension du Traité New Start en traitant la question sous un angle militaire.

Tout d’abord, il note que les plus hauts responsables du Pentagone se sont positionnés en faveur de l’extension, depuis la ratification en 2010 jusqu’à aujourd’hui. L’argument le plus utilisé est la capacité du New Start à offrir une certitude supérieure aux techniques de renseignement sur la composition de l’arsenal adverse, mais également une opportunité rare de dialogue entre militaires. Frank Klotz note également le rôle du Traité pour pouvoir prévoir le volume d’armes déployées par la Russie dans le moyen terme et ainsi dimensionner les forces américaines. Au niveau national, il rappelle le marché passé au Congrès qui lie le programme de renouvellement de la Triade et la préservation des accords de maîtrise des armements. Il répond également aux adversaires de l’expiration New Start. Ainsi, il convient de la supériorité numérique russe en matière d’armes non-stratégiques, mais note que cela ne justifie pas de donner à Moscou la capacité de désormais développer une supériorité sur les systèmes stratégiques. Concernant trois des nouveaux moyens stratégiques en développement en Russie (Kinzhal, Burevestnik, Poseidon), il reconnait que ces armes ne seraient pas couvertes par New Start, mais estime qu’elles ne poseront vraisemblablement pas un risque militairement significatif dans les cinq années qui viennent et juge donc qu’elles devraient être traitées dans les négociations parallèles ou ultérieures à l’extension sur un futur traité. La remarque s’applique pour la question d’ouvrir le Traité à la Chine. Frank Klotz admet les violations russes sur d’autres instruments de maîtrise des armements, mais juge qu’il serait inopportun de rejeter le seul accord qui fonctionne – notamment grâce à un régime de vérification poussé. Enfin, il note finement que la disparition des mesures de vérification forcerait les États-Unis à accroître leurs dépenses de renseignement ou à repositionner des moyens existants, au détriment d’autres domainesFrank G. Klotz, The Military Case for Extending New Start, The RAND Corporation, février 2020..

Trois scénarios à moyen terme

 La disparition du Traité

La mise en œuvre du Traité a été compatible avec le maintien, dans les faits, d’une capacité de remontée en puissance (maintien de silos vides, diminution du nombre d’armes sur les SSBN, etc.). Toutefois, sa disparition ne signifierait pas nécessairement une augmentation drastique des capacités de part et d’autre, car les programmes d’armement sont le fruit d’investissements de long terme et dépendent d’arbitrages budgétaires et de capacités de production limitées à la fois par les moyens disponibles (Russie) et les garde-fous institutionnels (États-Unis). Si « course aux armements » il y avait, ce serait davantage sur le plan qualitatif que quantitatifAlexei G. Arbatov, Michael Krepon, Ulrich Kühn, Gary Samore, Tom Sauer, William H. Tobey, Wu Riqiang et Pavel S. Zolotarev, « Expert Survey: Is Nuclear Arms Control Dead or Can New Principles Guide It? », Russia Matters, Belfer Center, 30 juillet 2019.. Le risque existe néanmoins d’un décrochage manifeste de la parité sur certains segments qui conduirait à des pressions politiques pour « rattraper » l’adversaire – notamment si M. Trump, qui se laissa un jour à signaler à M. Poutine « si vous voulez une course aux armements, vous l’aurez ! » devait être rééluEd Pilkington et Martin Pengelly, « 'Let it be an arms race': Donald Trump appears to double down on nuclear expansion », The Guardian, 24 décembre 2016. .

Du côté américain, le programme de modernisation de la Triade américaine, qui porte sur plusieurs décennies, a été calibré sur le format New Start, et il est douteux que Washington aille au-delà d’une augmentation relativement marginale du nombre de vecteurs et d’armes. De nouvelles options stratégiques pourraient toutefois être considérées, comme l’ajout de missiles et de têtes sur les SSBN de la classe OhioVincent Manzo, Madison Estes, « If New START Dies, These Questions Will Need Answers », DefenseOne, 28 juillet 2019..

La Russie, pour sa part, pourrait affecter à des missions nucléaires des systèmes hypersoniques comme l’Avangard en plus et non pas à la place de missiles balistiques. Mais elle pourrait surtout être tentée de dépasser les plafonds de New Start pour ce qui est des têtes nucléaires déployées, dès lors qu’elle dispose d’une capacité de montée en puissance rapide et importante, notamment via ses missiles intercontinentaux lourds.

Enfin, bien entendu, le traité New Start se caractérise par le régime de vérification et d’inspection poussé qui y est associé. Sa disparition produirait au bout de quelques années un manque d’information notable, notamment côté américain, sur les arsenaux et déploiements adverses. Elle requérait l’augmentation des efforts de renseignement dans ce domaine et priverait les gouvernements de sources fiables et agréées, permettant aux stratégies d’incertitude et aux postures d’ambiguïté de prospérer.Vince Manzo, Nuclear Arms Control Without a Treaty? Risks and Options After New START, Washington, D.C.: CNA, 2019.

Un accord plus global

Deux critiques déjà anciennes du processus START sont la non-prise en compte des moyens non-stratégiques (russes), ainsi que des moyens conventionnels à longue portée et des défenses antimissiles (américains).

Une autre critique, plus nouvelle, est que le processus actuel ne permet pas de prendre en compte les nouveaux systèmes produits par la Russie. Pour autant, le texte du traité permet de comptabiliser le nouveau missile intercontinental à têtes multiples Sarmat de manière certaine, de même que le missile Avangard, un véhicule hypersonique assorti à un lanceur balistique. Cette interprétation a été confirmée par les autorités russes, qui ont présenté le système à des inspecteurs en novembre 2019. En revanche, ce ne serait pas le cas pour les missiles Kinzhal, Burevestnik et pour le lanceur Poseidon.

Certains experts soutiennent l’idée d’un régime global qui imposerait des plafonds pour tous les missiles de plus de 500 km de portée. Dans ce cadre, les États-Unis et la Russie devraient choisir le type d’armes favorisé, parmi les portées intercontinentales et intermédiaires. Le plafond pourrait être revu à la baisse au fur et à mesure de l’évolution du contexte stratégique. L’idée de négocier des réductions supplémentaires avait été mentionnée publiquement par l’administration américaine dès la ratification du New Start, puis en 2013 lorsque le président Obama avait proposé de réduire bilatéralement d’un tiers les volumes d’armes nucléaires stratégiques déployées. On peut donc penser que quel que soit son format, un nouvel accord viendrait conforter l’idée de procéder à une nouvelle réduction des plafonds autorisés. Néanmoins, la Russie avait montré une grande frilosité à évoquer de nouvelles réductions à l’époque, et soutient les mêmes arguments aujourd’hui : pour Moscou, il n’est plus acceptable de procéder à la réduction des moyens stratégiques si certaines catégories d’armes américaines ne sont pas prises en considération, et notamment des armes qui sont censées nuire à sa capacité de dissuasion stratégique comme la défense antimissile et les systèmes de frappes conventionnelles longue portée. L’avenir de la maîtrise des armements sur les missiles stratégiques se heurte donc à la prise en compte de capacités asymétriques, un enjeu qui apparaît essentiel dans sa capacité à s’adapter à un nouvel environnement stratégiqueEmmanuelle Maitre, « Maitrise des armements et missiles : quelles perspectives après la disparition du Traité FNI ? », Recherches & Documents n° 2/2020, Fondation pour la recherche stratégique, février 2020. .

Une issue pourrait être la négociation d’un accord informel « de type SORT sur la forme » – la vérification totale apparaissant hors de portée – mais « de type SALT sur le fond », avec un volet offensif et un volet défensif, et prenant en compte l’ensemble des capacités stratégiques des deux parties, y compris peut-être certains moyens non intercontinentaux. Celui-ci pourrait être accompagné d’un volume global d’armes nucléaires opérationnelles, avec un « panachage » autorisé entre armes stratégiques et non-stratégiques. À ce stade, un tel scénario apparaît très hypothétique.

Un accord trilatéral

Aux États-Unis et en Russie, les critiques du régime de maîtrise des armements hérité de la Guerre froide insistent sur l’anachronisme qui consiste à ne réfléchir qu’en termes d’accords bilatéraux alors que de nouveaux compétiteurs stratégiques émergent aux niveaux global et régional. Au Congrès, plusieurs législateurs ont ainsi fait des propositions exigeant que tout nouvel accord inclue la Chine. La Maison Blanche soutient fermement une telle perspective. Toutefois, pour ce qui est des armes stratégiques et d’un accord successeur au New Start, les arsenaux présentent encore des asymétries numériques très importantes. Pour que des États acceptent de rejoindre les États-Unis et la Russie dans de telles discussions, il faudrait vraisemblablement envisager des réductions ou des plafonds asymétriques favorables aux plus petites puissances (y compris la Chine). En effet, ces dernières n’accepteraient pas de réduire leurs stocks, pour ce qui est des moyens de portée intermédiaire ou intercontinentale, tant que ce déséquilibre numérique majeur avec Washington et Moscou perdureTong Zhao, « Opportunities for Nuclear Arms Control Engagement With China », Arms Control Today, 27 janvier 2020..

À ce stade, la Chine n’a donné aucun signe tendant à montrer qu’elle serait prête à se joindre à de telles discussions.

*

Des considérations politiques spécifiques à l’administration Trump rendent particulièrement difficiles, à ce stade, les prévisions sur l’avenir de la maîtrise des armements stratégiques. Toutefois, pour le court terme, l’hypothèse d’une extinction pure et simple en février 2021 n’est pas certaine à ce stade :

  • M. Trump pourrait être persuadé par son administration de l’intérêt d’une extension année par année à titre provisoire, ne serait-ce que pour donner le sentiment qu’il donne « toutes ses chances » à la négociation. Réélu, il pourrait également être tenté par la possibilité d’un « grand marchandage » avec la Russie sur la stabilité stratégique. De plus, l’ouverture sur l’arms control restera une condition sine qua non pour que des Démocrates agréent à la poursuite du financement de la modernisation des forces.
  • M. Biden étendrait sans difficulté le Traité année par année, et son administration ne manquerait pas de créativité pour tenter de relancer le processus de négociation d’un nouveau traité. En revanche, il devrait, lui, donner des gages aux Républicains sur le plan de la modernisation des forces.

Au-delà, le sujet de l’après-New Start soulève deux questions fondamentales :

  • La pertinence de l’arms control stratégique dans un contexte de développements capacitaires asymétriques : la question n’est pas nouvelle, mais semble prendre une importance considérable alors que les trois grandes puissances militaires développent leurs arsenaux stratégiques sur des segments diversifiés et que les lignes séparant les différentes catégories de systèmes semblent brouillées.
  • La pertinence de poursuivre ces discussions dans un contexte bilatéral : si la Russie et les États-Unis évoquent régulièrement leur volonté de faire entrer la Chine dans ces discussions, c’est parce que l’arsenal de cette dernière a atteint une maturité qui n’existait pas lors de la signature de New Start. Une telle perspective nécessiterait de repenser entièrement le concept d’accords de maîtrise des armements et sans doute d’abandonner la logique quantitative.

Le risque existe ainsi de voir la maîtrise des armements stratégiques devenir soit impossible – son extension « verticale » (moyens) et « horizontale » (parties) s’avérant hors de portée – soit inutile – la seule limitation des vecteurs nucléaires stratégiques apparaissant beaucoup moins centrale que c’était le cas au temps de la Guerre froide.

Il resterait alors, comme arguments en faveur d’accords de ce type, (i) le maintien d’un canal de dialogue politico-militaire bilatéral, (ii) la prévisibilité de l’évolution de l’arsenal adverse, et (iii) sa vérification. Mais le cas du traité FNI a affecté durablement la maîtrise des armements en démontrant le risque de violation significative de l’essence même du Traité. Pour beaucoup, la discipline ne peut fonctionner s’il n’y a pas un minimum de confiance dans le respect des engagements pris. Or si les évolutions technologiques en cours peuvent offrir de nouvelles possibilités en termes de vérification, elles peuvent aussi être sources de difficultés nouvellesVoir par exemple Speech by NATO Secretary General Stoltenberg at the High-level NATO Conference on Arms Control and Disarmament, NATO, 23 octobre 2019.. 

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