Les relations entre la France et l’Italie représentent un angle mort de la politique étrangère française alors qu’en Italie elles suscitent une sensibilité extrême. Depuis longtemps nous constatons la non-correspondance des perceptions croisées, c’est-à-dire la façon dont les deux pays projettent leurs visions l’un sur l’autre, des représentations qui, la plupart du temps, ne se syntonisent pas
Se pose ainsi la question de l’augmentation des instruments de gouvernance de la relation bilatérale. La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) entraîne une re-continentalisation de l’Europe, avec, par exemple, une intensification du rapport franco-allemand. Dans le cadre de cette accélération d’une Union qui démontre sa capacité à gérer l’après-crise de la Covid-19, nous constatons un besoin de renforcement des relations franco-italiennes pour augmenter l’intensité et la qualité des décisions européennes, l’un n’allant pas sans l’autre. L’amélioration de la relation bilatérale représente l’une des étapes de cette ultérieure structuration de l’Union. Pour mieux en appréhender les enjeux, mais aussi les difficultés, il convient de rappeler les dynamiques récentes.
L’Affaire STX-Fincantieri et la question de la relation stratégique dans le domaine de l’industrie
Entre 2017 et 2019 une série d’épisodes épineux ont défrayé la chronique des relations entre Paris et Rome. L’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française initie un cycle négatif qui s’est ensuite envenimé, au printemps 2018, lors de l’arrivée au pouvoir de la majorité souverainiste M5S-Lega en Italie.
Mais un événement précis a marqué un seuil dans la dégradation des relations entre Paris et Rome : dès le lendemain des élections de 2017, la présidence française met le holà sur le dossier de reprise des chantiers de l’Atlantique/STX par le groupe italien Fincantieri, un coup d’arrêt qui a été vécu comme un camouflet par l’ensemble des milieux gouvernementaux et économiques italiens
Ainsi, le revirement de la présidence Macron par rapport aux accords établis durant la présidence Hollande est très mal vécu par l’ensemble des milieux politiques et économiques en Italie, qui se sentent ignorés, ce d’autant plus que le précédent propriétaire de STX était sud-coréen, et s’interrogent sur la dissonance entre les tons européistes de la campagne pour la présidentielle et le caractère nationaliste de cette décision.
Ce dossier connaît ensuite des évolutions difficiles car la recherche d’un accord ultérieur large, à la fois civil et militaire, entre Naval Group et Fincantieri apparaît comme un succédané qui ne suffit pas vraiment à panser la blessure initiale, ce alors que le marché de la construction navale doit faire face aux aléas de la crise de la Covid-19
Cette entrée en matière funeste vient illustrer une constante négative dans la relation bilatérale : l’absence d’un cadre de coopération stable en ce qui concerne les industries stratégiques. L’Italie et la France ont toujours considéré l’Etat comme un acteur premier des politiques industrielles. Et c’est au nom de ces visions que, dans les deux pays, l’Etat est actionnaire d’entreprises dans les secteurs de l’aérospatial et de la défense, de l’énergie, des télécommunications, des banques et du transport. Cette situation moderne d’actionnariat provient d’ailleurs d’une histoire dans laquelle certaines de ces fonctions étaient directement gérées en régie souvent monopolistique. Le renforcement des marchés européens a entraîné des transformations sociétaires et la fin des monopoles internes. Nous nous trouvons sur le papier avec une structure économique et des visions gouvernementales somme toute voisines, en particulier si on les compare aux autres Etats membres de l’Union, beaucoup plus réticents à l’égard de l’Etat-actionnaire. Si cette vision stratégique est commune, comment expliquer l’impossibilité de définir un cadre élargi de synergies ?
C’est dans le contexte qui se met en place à partir des années 1990 que nous pouvons observer des stratégies divergentes entre la France et l’Italie. L’Italie, qui connaît une quasi-faillite de ses finances publiques en 1992, lance une série de privatisations et accélère la transformation de son économie publique pour récupérer de la compétitivité en jouant la carte européenne. La France, de son côté, met en place la stratégie contraire, c’est-à-dire qu’elle retarde au maximum la transposition des différentes directives de libéralisation des marchés pour pouvoir conserver le plus tard possible la structure des entreprises étatiques et des monopoles internes. C’est dans ce contexte – deux calendriers divergents – que se créent les conditions structurelles de non-coopération entre les deux pays.
L’ouverture des marchés produit ses effets, et l’économie italienne apparaît comme un terrain privilégié d’action pour de nombreux groupes français qui reprennent des entreprises italiennes
En 2006, lorsque l’électricien italien ENEL s’allie à Veolia pour reprendre Suez, l’OPA est bloquée par le gouvernement français, qui interprète cette opération comme une menace et enclenche la fusion Suez-Gdf
Ainsi, les problèmes dans le secteur de l’énergie à partir des années 2000 révèlent la difficulté d’établir des convergences dans des domaines stratégiques, ce d’autant plus que ces opérations engagent l’action des Etats comme à la fois propriétaires des entreprises et régulateurs. Lorsqu’ensuite les investissements directs français se multiplient en Italie dans des secteurs apparemment anodins comme le luxe et les produits laitiers, les perceptions négatives s’accumulent à Rome avec un sentiment d’envahissement
Ce brouillage autour d’une convergence de stratégies industrielles fait passer au second plan l’importance des liens dans les domaines techniques et scientifiques. Les co-entreprises spatiales ThalesAleniaSpace et Telespazio illustrent de la manière la plus directe la coopération franco-italienne dans le secteur spatial, une coopération qui s’exprime également par les nombreuses participations à des programmes européens communs. Dans le domaine des technologies électroniques, il faut se souvenir de l’exemple de politique industrielle qu’a longtemps représenté le producteur de semiconducteurs STmicroelectronics, une entreprise sous contrôle italo-français et dont la valeur stratégique reste forte. Ce début de liste, absolument pas exhaustif (nous pourrions rajouter ATR, MBDA…), doit non seulement rappeler un patrimoine d’accords industriels dans les secteurs de technologie avancée, mais également permettre d’entrevoir les possibilités en termes de développement ultérieur pour deux pays dont les politiques industrielles et de recherche offrent de nombreux points de contacts structurés au sein des programmes menés par les agences et instituts publics (ASI, CNES, CNRS, CNR, INRIA, CEA, ENEA, universités…). L’activité scientifique et technique est particulièrement intense dans le contexte franco-italien mais apparaît comme secondaire dans les représentations, tant les échecs retentissants tiennent le haut du pavé.
Aux difficultés de mise en place d’une vision stratégique industrielle, illustrées par le cas STX-Fincantieri, viennent s’ajouter les incompréhensions en ce qui concerne le cadre sécuritaire au sud de la Méditerranée, qui se manifestent également de façon forte en 2017.
Difficultés d’appréciation du cadre sécuritaire de la rive sud de la Méditerranée
A cette première lacération entre Paris et Rome s’ajoutent rapidement les tensions autour de la question libyenne. Lors du sommet trilatéral de Trieste, en juillet 2017, le chef du gouvernement italien, Paolo Gentiloni, insiste auprès d’Emmanuel Macron et d’Angela Merkel pour rappeler l’urgence du problème représenté par la pression migratoire en provenance de Libye et les risques que ce dossier migratoire fait peser sur la politique interne avec la montée des souverainistes
En toile de fond de ces dissensions autour du cas libyen, il faut souligner le divorce stratégique survenu entre la France et l’Italie depuis les années 2000. En 2006, l’intervention commune au Liban par le biais de la mission ONU UNIFIL II représente le point d’orgue d’une série de convergences politico-militaires à l’œuvre depuis les années 1980, et qui se sont particulièrement illustrées sur le terrain des Balkans lorsque, par exemple, les carabiniers italiens et les gendarmes français collaboraient au maintien de la sécurité du Kosovo au sein des MSU (Multinational Specialized Units). Dans la décennie 2000, cependant, les terrains de convergence s’amenuisent, et l’intervention en Libye en 2011 représente à cet égard un seuil négatif. La faiblesse de l’exécutif italien, présidé par un Silvio Berlusconi en fin de cycle, laisse l’impression confuse d’une Italie qui subit l’accélération voulue par la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis sans jouer le rôle de médiateur avec le régime de Kadhafi que son ancrage libyen aurait pu lui permettre. A partir de 2013, la Libye se désagrège peu à peu et les vagues migratoires déferlent sur la Sicile : l’Italie entre dans une époque d’urgence migratoire et rapidement, le théorème de la responsabilité française dans les maux italiens prend pied
Ainsi, la séquence diplomatique de 2017 vient, en quelque sorte, raviver un feu qui brûlait déjà, celui de la rivalité réelle ou perçue qui se cristallise autour de la Libye.
Le traité bilatéral, un instrument de remédiation ?
Le sommet bilatéral franco-italien de Lyon, en septembre 2017, arrive à point nommé pour calmer le jeu. Il donne lieu à une longue déclaration programmatique qui reprend l’ensemble des secteurs d’intérêt commun, en mettant en avant les convergences potentielles. Et c’est lors de ce sommet qu’est évoqué pour la première fois le projet d’un « Traité du Quirinal », un traité bilatéral susceptible de faire progresser les relations entre la France et l’Italie en s’inspirant du modèle franco-allemand.
Ce projet est officiellement lancé en janvier 2018 en marge d’une visite d’Emmanuel Macron à Rome
Cependant, cet effort, louable, intervient bien tard. L’année 2018 est marquée en Italie par les tons exacerbés de la campagne pour les élections législatives, qui voient à la fois les souverainistes du M5S et les nationalistes de la Lega et du parti « Fratelli d’Italia » occuper le terrain de la dénonciation du manque de solidarité européenne en matière d’immigration. Le contexte se tend peu à peu, et la référence à la France devient de plus en plus épineuse. Déjà, en mars 2018, un contrôle opéré par des douaniers français à Bardonecchia, dans le cadre de l’accord de coopération bilatérale en matière de police, est entaché d’une irrégularité administrative qui provoque une véritable tempête médiatique contre la présence d’officiers de police français sur le territoire italien
Entre élections législatives italiennes et élections européennes, un calendrier marqué par la politisation de la relation bilatérale
Les élections législatives de 2018 en Italie viennent bouleverser cet équilibre en ne permettant pas la constitution d’une majorité suivant la traditionnelle division gauche/droite. Le gouvernement Conte, basé sur une coalition entre M5S et Lega, est formé en juin 2018 après une longue période de crise, tant est grande la difficulté de consolider une coalition. Quelques jours plus tard, l’ambassadeur Christian Masset est à nouveau convoqué par le nouveau ministre italien des Affaires étrangères, Moavero Milanesi, alors qu’un porte-parole du gouvernement français avait critiqué le comportement de l’exécutif italien dans la gestion du navire de réfugiés Aquarius
C’est dans ce contexte que s’affirme un discours « contre l’Europe de Macron », exprimé en particulier par la Lega et son leader, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini
A ce moment-là explose le second volet de la crise diplomatique entre la France et l’Italie. Ce sont d’abord les déclarations du ministre et leader du mouvement 5 étoiles Luigi di Maio, critiquant la politique du franc CFA, qui provoquent la convocation de l’ambassadeur d’Italie à Paris, Teresa Castaldo, par le Quai d’Orsay
La visite du président de la République Sergio Mattarella en France, en mai 2019, à l’invitation d’Emmanuel Macron viendra clore ce cycle négatif en rétablissant l’expression d’une volonté commune au plus haut niveau, mais la bourrasque laisse des traces
Un nouveau cycle après les élections européennes de 2019 ?
Les élections européennes vont également contribuer à l’évolution du dossier. Une fois la campagne électorale passée, le ton baisse dans l’ensemble de l’Union. En Italie, c’est un Salvini rendu confiant par son succès dans les urnes qui provoque la crise gouvernementale de l’été et aboutit au résultat paradoxal d’un nouvel accord de coalition entre le M5S et le Parti Démocrate, qui exclut la Lega, pour constituer le gouvernement Conte 2. Cette coalition post-souverainiste apparaît beaucoup plus compatible avec les principaux partenaires européens comme la France et l’Allemagne
L’apparente normalisation provoque des gestes forts, comme ceux d’Emmanuel Macron et du président allemand Franck-Walter Steinmeier, qui se précipitent à Rome en septembre 2019 à peine le nouvel exécutif Conte nommé – tant est grand le désir de normaliser les relations après cette période trouble
Au-delà de cet empressement diplomatique de bon aloi, il faut éviter de commettre une erreur d’analyse en faisant de la Lega de Matteo Salvini l’unique responsable de tous les maux et en considérant la crise diplomatique de 2018-2019 comme un épiphénomène. Il convient de rappeler que le M5S a exprimé des positions très critiques vis-à-vis de la France et qu’il reste la principale formation de l’actuelle coalition au pouvoir. Le franc CFA ou la liaison Lyon-Turin représentent autant de dossiers qui ont vu le M5S s’opposer à la France, et ils restent à l’ordre du jour. De plus, c’est lorsque le Parti Démocrate était au pouvoir, en 2017 avec Paolo Gentiloni, que nous avons assisté à une forte dégradation des relations suite à l’élection d’Emmanuel Macron. On remarque également le renforcement de la formation « Fratelli d’Italia », qui s’est toujours distinguée par des positions critiques à l’égard de la France. Enfin, la gestion des flux de réfugiés en provenance de Libye sera un enjeu important dans l’effort des deux pays pour parvenir à un apaisement durable de leurs relations. La perception d’un problème d’immigration a été, durant cette période, la question centrale de la politique italienne, avec une droite qui a prospéré grâce aux thèmes de la dénonciation de l’insécurité et du laxisme en la matière. Et dans ce contexte, la France et l’Europe sont traditionnellement pointées du doigt pour leur absence de solidarité concrète. Il faut donc être particulièrement prudent car la difficulté que revêt la mise en place d’un mécanisme de répartition des réfugiés en Europe constitue un terrain miné qui peut à nouveau exploser en cas de crise migratoire.
La crise de la Covid-19 et ses conséquences diplomatiques
La crise de la Covid-19 représente une phase ultérieure dont la lecture n’est pas univoque. Le sommet bilatéral de février 2020 a marqué la relance des rapports entre la France et l’Italie, présentés sous leurs meilleurs atours lorsque Giuseppe Conte et Emmanuel Macron déambulent dans les rues de Naples pour saluer les passants et aller déguster un baba chez Scaturchio
La visite à Rome de Jean-Yves Le Drian début juin 2020 s’inscrit dans une volonté d’attention spécifique pour la reprise du dialogue diplomatique dès que les conditions sanitaires s’améliorent
Il convient également de relever qu’au même moment, le Parlement italien a voté le financement pour une participation à la mission militaire Takuba, la force européenne d’appui et de conseil aux dispositifs de sécurité déjà existants au Sahel
Le dossier européen offre également une lecture ambivalente. Le début de la crise de la Covid-19 a été marqué par un repli national de l’ensemble des pays européens, avec une réaction quasi autarcique. L’Italie est alors en avance de phase dans la diffusion de l’épidémie, alors que les autres pays de l’Union européenne retardent les mesures de confinement. Ceci contribue à une perception d’isolement de l’Italie dans la première phase de la crise alors qu’enfle une polémique sur l’absence de signes d’aide concrets de la part de l’Europe et des Etats membres dans le contexte de la pénurie d’équipements nécessaires
Cette insatisfaction à l’égard de l’Europe se prolonge ensuite alors que l’Italie réclame une générosité financière européenne sous forme de dette commune
Une fenêtre d’opportunité pour un traité bilatéral ?
C’est dans ce contexte que, côté italien comme côté français, la signature d’un traité bilatéral entre la France et l’Italie, le « Traité du Quirinal », qui s’inspire du modèle franco-allemand, est à nouveau évoquée. Pour tourner la page des bisbilles franco-italiennes, il est temps de renforcer les mécanismes institutionnels bilatéraux. Au vu des crises successives, mais également de la série de dossiers épineux qui émaillent les relations franco-italiennes depuis le début des années 2000, un mécanisme susceptible d’institutionnaliser les rapports entre les gouvernements français et italien semble plus que jamais souhaitable. La crise de la Covid-19 a illustré la validité du rapport franco-allemand, un exemple dont on doit s’inspirer.
Mais les conditions de ce traité ont changé au cours des deux dernières années et il convient de les prendre en compte. Il faut dire que pendant les longs mois de la crise diplomatique entre Paris et Rome, les travaux de la commission bilatérale n’ont que peu progressé, mais aussi, surtout, que cette commission associée au précédent exécutif italien n’apparaît plus comme légitime. Les lacérations entre Paris et Rome laissent des traces et, de nouveau, il faut faire le constat d’un sentiment francophobe diffus en Italie, une vision négative dont on a par exemple pu percevoir la prégnance au sein de l’orientation du journal télévisé de la deuxième chaîne publique italienne, Rai 2, qui a multiplié les reportages au vitriol sur la France en 2018 et 2019. Alors que la période précédente se basait sur l’illusion d’une amitié, en reprenant parfois la rhétorique galvaudée des « sœurs latines », il faut poser désormais le constat d’un rapport fragile, difficile, chargé de rancœurs, et qui doit donc être traité comme tel en évitant l’approche culturaliste française, qui tend fréquemment à proposer une vision positive de l’Italie au nom d’une relecture historique sans s’interroger sur la complexité de cette société, mais également en dépassant la vision trop géopolitique et nationaliste d’une Italie qui a oublié de se projeter dans l’intégration européenne. Les sommets bilatéraux ont bien souvent énuméré les nombreux secteurs, depuis la recherche jusqu’à la culture en passant par l’industrie, l’espace ou les transports, qui peuvent exprimer des synergies entre la France et l’Italie. C’est probablement ce qui ne faut pas faire aujourd’hui tant le ressenti est lourd. Cependant, il ne faut pas sous-estimer la spécificité et l’actualité de la relation franco-italienne dans des domaines qui font désormais partie de la « souveraineté technologique européenne », un concept qui s’est renforcé dans le contexte de la crise de la Covid-19
L’actuelle majorité italienne, qui associe le M5S au Parti Démocrate, montre des signes quotidiens de tiraillements. Cet aspect fait qu’il est difficile d’imaginer une force politique capable d’accompagner un traité solennel, qui exprimerait une amitié dont certains ne veulent pas a priori en Italie. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faille abandonner le projet mais il est certainement important de se soucier de le rendre compatible avec un éventail large de la représentation politique italienne, en gardant à l’esprit que, côté italien, le panorama politique n’offre pas de réelle possibilité d’une majorité qui fasse montre d’un européisme sans faille. Le Traité franco-allemand de 1963 avait comme objet la remédiation des relations entre les deux pays dans l’après-guerre en se basant sur une volonté politique forte et explicite. Aujourd’hui, un traité franco-italien doit avoir comme objectif une remédiation des relations entre Paris et Rome, mais avec une volonté moins explicite côté italien.
Et c’est d’ailleurs dans le rapport franco-allemand que l’on peut puiser d’utiles recettes. L’ossature du rapport franco-allemand est faite de mécanismes de consultations bilatérales, de conseils des ministres conjoints ainsi que d’une présence de ministres du pays partenaire lors des conseils, de mécanismes efficaces d’échanges de haut fonctionnaires qui passent plusieurs années de leurs carrières au sein de l’administration de l’autre pays, de la tenue de réunions ministérielles bilatérales, qui permettent d’approfondir des dossiers dans différents secteurs. Il s’agit en fait de mettre en place une série de courroies de transmission qui facilitent la connaissance et les réseaux réciproques. C’est au travers de la réalisation de tels mécanismes que l’on doit rechercher l’essence d’un traité bilatéral réduit aux acquêts, qui doit éviter d’énoncer des politiques sectorielles qui pourraient apparaître comme programmatiques. Un tel traité peut se décliner en quelques articles essentiels, et se résumer en l’institution de mécanismes bilatéraux de consultation gouvernementale qui ne doivent pas préjuger des positions défendues ; il doit être perçu comme un outil nécessaire et opportun, capable de faire progresser les intérêts aussi bien de la France que de l’Italie dans le contexte européen.
Le constat de la fragilité des rapports entre la France et l’Italie doit également pousser à une relance de la politique linguistique et culturelle entre les deux pays, un aspect fondamental pour améliorer la compréhension mutuelle. Ici encore, le modèle de l’Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) constitue une référence. Mais ce type de politique, qui traduit une forte volonté commune, peut être gardé sous le coude comme étape ultérieure. L’essentiel est de mettre en place un mécanisme institutionnel qui puisse fonctionner à un niveau gouvernemental même lorsque les partenaires n’appartiennent pas aux mêmes familles politiques européennes tout en assurant la continuité des échanges d’informations dans la haute administration. Il s’agit de créer les conditions d’une institutionnalisation ultérieure du rapport bilatéral, un élément qui peut s’avérer fondamental pour le progrès et les convergences dans le nouveau contexte continental de l’Union européenne. L’initiative de relance franco-allemande post-Covid représente une étape fondamentale car elle permet un progrès significatif en matière d’intégration mais exprime également un nécessaire geste de générosité à l’égard des pays qui souffrent, dont l’Italie. C’est dans ce contexte d’une solidarité manifeste qu’il faut penser l’évolution du rapport bilatéral, en proposant un traité qui soit suffisamment technique et bref pour qu’il puisse représenter une plate-forme acceptable pour une majorité des forces politiques présentes sur les échiquiers italien et français. Ce traité ne doit pas non plus apparaître comme un rapport exclusif, mais comme une courroie de transmission permettant de faciliter les convergences au sein d’une Union européenne qui est en position de relancer son intégration dans le cadre des mesures post-Covid. A cet égard il serait certainement opportun d’abandonner la référence au « Quirinal », siège de la présidence de la République italienne, une dénomination connotée. La présidence de la République en Italie a un rôle de garant et n’exerce pas de pouvoir exécutif ; cette mention, qui a pu apparaître comme une courtoisie institutionnelle de la part des Français lors de la phase initiale, pourrait s’avérer embarrassante lorsqu’il s’agira de faire voter un texte par une majorité parlementaire.
Une dose de modestie peut constituer les prémices d’une vision politique longue, celle d’un rapport franco-italien dépassionné et donc stable, avec comme objectif la reconstruction d’un cadre cognitif commun qui permette la compréhension et la prise en compte des motivations croisées des partenaires et représente le premier pas d’une refondation essentielle, celle de la perception d’une communauté de destin au sein de l’Union.