D’un point de vue pratique, les affirmations de Bloomberg, non corroborées par d’autres analyses, sont invérifiables. Le journal américain donne peu de détails et cite le renseignement américain comme principale source
Le premier dysfonctionnement relaté par Bloomberg fait référence au couvercle des silos d’ICBM, qui ne parviendrait pas à s’ouvrir. Cette rumeur n’est pas tout à fait nouvelle et pourrait faire référence aux efforts chinois pour construire une couche de protection au-dessus des silos. Cette couche empêcherait le couvercle du silo de s’ouvrir correctement et aurait conduit à un échec d’un essai de missiles en 2023. Ce souci serait donc plutôt d’ordre technique et ponctuel, reflétant peut-être la rapidité et l’ampleur de la construction en matière d’ICBM ces dernières années, qu’un problème systémique.
La deuxième information fait référence à « des missiles remplis d’eau » et est celle qui a suscité le plus de scepticisme. Plusieurs options sont en particulier déconsidérées. Tout d’abord, les ICBM chinois les plus récents utilisent des propergols solides, en particulier le DF‑31 et le DF‑41. Les propergols solides sont coulés dans les moteurs lors de la production. S’il fait référence à des missiles balistiques, le problème de missiles « remplis d’eau » ne pourrait donc vraisemblablement concerner que des systèmes à propergol liquide, dans les faits le DF‑5, un système ancien mais modernisé dans le cadre des programmes de mirvage qui reste déployé ou en cours de déploiement sur cinq bases

Dans l’hypothèse du DF‑5, il convient de noter qu’il n’est pas certain que les DF‑5 soient déployés avec leurs ergols, qui pourraient être chargés juste avant le lancement. Alors que l’article évoque l’idée que la corruption soit la principale raison derrière le problème de propergol, il convient néanmoins de noter que les ergols liquides, des matières particulièrement volatiles et hautement explosives, pourraient difficilement faire l’objet d’échanges illicites. Un scénario proposé potentiellement réaliste est celui dans lequel lors d’un exercice de procédure, les équipes en charge auraient fait l’impasse sur le chargement du missile en ergols, pour des raisons de facilité, dans un contexte de corruption, et aurait simulé le chargement avec un autre liquide. Ce procédé aurait néanmoins été très difficile à dissimuler aux autorités compétentes. Une autre hypothèse pourrait indiquer que de l’eau serait restée présente dans les réservoirs suite à la vidange des carburants, à la suite d’un exercice, sous forme de traces, un scénario qui s’éloigne cependant fortement du titre sensationnel de « missiles remplis d’eau »
Une autre supposition estime que le problème pourrait ne pas concerner les étages principaux des DF‑5, mais le bus d’autres ICBM. Les bus, ou véhicule de post-propulsion, sur lequel sont fixés les corps de réentrée, possèdent un moteur à carburant liquide pour corriger leur trajectoire. Selon un analyste, de l’eau ou un autre liquide que les ergols aurait pu être utilisé au moment des tests d’étanchéité des réservoirs, et pour diverses raisons n’aurait pas été vidée au moment du déploiement des systèmes. Cela supposerait néanmoins d’envisager des manipulations des réservoirs du bus suite à leur production, ce qui peut susciter des questions, et concernerait de très petits réservoirs.
En effet, on peut souligner qu’au vu du grand nombre d’essais balistiques conduits par la Chine chaque année, estimés à plus de 100 par le gouvernement américain (contre une dizaine pour les États-Unis)
Cela amène certains sinisants à estimer que l’expression « rempli d’eau » pourrait refléter une erreur de traduction et devrait être interprétée au sens figuré. L’expression chinoise « injectée d’eau » aurait pour sens « falsifié » ou « dont les coûts sont délibérément exagérés ». Les problèmes observés sur les missiles chinois pourraient donc n’avoir rien à voir avec de l’eau.
Quoiqu’il en soit, le rapport de Bloomberg a conduit à des questions sur la manière dont l’administration américaine perçoit les capacités nucléaires chinoises. Suite à la publication depuis deux ans des rapports du Pentagone qui soulignent l’évolution quantitative rapide des forces nucléaires chinoises, certains se demandent en effet dans quelle mesure Washington prend en compte les aspects qualitatifs et opérationnels des forces chinoises dans ses estimations, mais également si ces publications sont le reflet fidèle des évaluations produites par la communauté du renseignement américaine