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Sobriété énergétique et forces armées : les low-tech sont-ils une solution ?

Recherches & Documents n°07/2025
Annabelle Livet
28 avril 2025

Introduction

La conception des équipements se fonde sur les besoins des forces armées pour la meilleure exécution de leurs missions

L’auteure remercie le général Bruno Lassalle, chercheur associé à la FRS, pour son soutien à ce travail ainsi que pour sa définition du mode dégradé.
. Ces équipements répondent à un besoin militaire opérationnel exprimé pour obtenir un effet tactique, opératif ou stratégique
Voir Antoine Roussel, « Étude historique sur l’évolution de l’équipement individuel du fantassin »,Revue Défense Nationale, 2017/HS1, pp. 27-37.
. Il s’agit de disposer d’un avantage en évitant une éventuelle surprise technologique sans introduire de vulnérabilités qui pourraient être exploitées par l’adversaire. Cet argument est à analyser en prêtant une attention particulière à la variable énergétique, compte tenu du recours de plus en plus massif à des technologies énergivores. 

Les forces terrestres connaissent une véritable révolution énergétique. Au XXè siècle, l’énergie de base était constituée par les carburants fossiles alimentant les moteurs de plateformes qui garantissaient leur mobilité et créaient l’énergie électrique et hydraulique nécessaire au fonctionnement des systèmes et équipements embarqués dans une logique d’équilibre énergétique. Aujourd’hui, les plateformes, dont la motorisation est peu différente, intègrent des équipements énergivores en raison d’une numérisation et d’une robotisation croissantes depuis le début du siècle. Dès le moyen terme, ces équipements énergivores seront imposés par l’utilisation qui se profile d’armements à rayonnement électromagnétique ou laser pour le combat ou encore le brouillage. Ces besoins qui ne cessent de croître tout en s’avérant « gourmands » en électricité produite localement tendent à augmenter le niveau de criticité du système énergétique sur lequel elles reposent et conduisent à la rupture de l’équilibre énergétique des plateformes de combat. Si la technologie demeure un atout tactique ultime, l’approvisionnement et la sécurité énergétiques s’imposent également comme le fondement de cet atout. 

Or, dans l’éventualité d’un déséquilibre où la disponibilité énergétique et logistique deviendrait insuffisante face aux besoins énergétiques (alors trop importants), c’est l’ensemble des chaînes d’approvisionnement qui est fragilisé, auquel cas, la situation pourrait finalement s’apparenter à des configurations expérimentées durant les opérations en Afghanistan lorsque le dispositif logistique alourdi est ciblé par l’adversaire avec des conséquences humaines (pertes, moral, etc.) et tactiques (missions limitées, par exemple.)

Major Martha G. Granger, « Moving an Expeditionary Force: Three Case Studies in Afghanistan », $School of Advanced Military Studies, 22 mai 2003.
Cela conduit dans un premier temps à une réelle sensibilisation aux questions d’approvisionnement énergétique ainsi qu’à une anticipation de scénarios de rupture originaux pour y faire face. 

Dans le cas des plateformes de combat mobiles, un accroissement de la complexité des systèmes embarqués induit généralement un plus haut degré de sensibilité à leur environnement et donc de fragilité. Cette fragilité peut nécessiter l’augmentation du niveau de protection des appareils concernés (exemple : gestion des batteries inflammables) ainsi que certaines caractéristiques ou impératifs techniques liées ou propres à certaines formes d’énergie (propriétés de combustible spécifiques, un niveau minimum d’intensité énergétique, un flux – élec­trique – continu ou alternatif, etc.). Sur ce dernier point, la question de la disponibilité de l’énergie pour le bon fonctionnement des équipements s’impose à nouveau comme un enjeu central, surtout pour les activités sur le territoire national comme en OPEX, et constitue vraisemblablement un élément structurant dès la phase de conception des équipements. 

Suivant cette logique, cette note propose de mettre en évidence l’impact de la disponibilité de l’énergie relativement aux capacités militaires. Autrement dit, il s’agit d’une réflexion sur l’efficacité des missions en environnement énergétique contraint ou contesté

Lorsque l’amoindrissement capacitaire est lié à l’action de l’ennemi.
et ainsi de mettre en évidence des leviers ou des marges de vulnérabilité et d’évolution dans ce contexte. C’est dans ce cadre que la question des low-tech sera abordée afin d’évaluer si, de prime abord, elles peuvent constituer un élément de réponse satisfaisant à ces enjeux. L’intérêt pour les technologies low-tech est à comprendre ici comme la recherche d’équipements peu énergivores et robustes sans occasionner de perte d’efficacité, ce qui les distingue d’une conception « anti-technologique », les low-tech pouvant au contraire impliquer de hauts niveaux d’innovation.